Conference-de-Presse - States of Grace (Short Term 12)

Par Mulder, Deauville, 03 septembre 2013

Cette conférence de presse est celle de l’un de mes trois films préférés que j’ai pu découvrir lors du festival du cinéma américain de Deauville. Ce très beau film porte à croire que le réalisateur Destin Cretton va s’imposer comme l’un des réalisateurs à suivre. On ne saurait trop vous conseiller de voir ce film très fort et superbement interprété et porté par Brie Larson…

Q : Bonjour, tout d’abord bravo pour votre film. Je m’attendais à que cela soit plus violent dans l’agression verbale ou physique des adolescents. Je voulais savoir si vous aviez fait en sorte que cela soit plus calme pour le cinéma ou c’est vraiment le cas dans la réalité ?

Destin Cretton : Vous vouliez plus de violence. Ce n’était pas assez violent pour vous. En fait, cela aurait été facile pour moi, j’y ai pensé aussi en tant que réalisateur de prendre tous ces éléments dramatiques, avec beaucoup de tensions dont j’ai eu connaissance et de les mettre ensemble pour pouvoir vraiment les aligner les unes après les autres. J’ai entendu beaucoup d’histoires. J’ai été en contact avec beaucoup de ce genre de situations lorsque j’ai travaillé moi-même dans ce genre d’environnement. J’aurasi pu les mettre les uns après les autres et avoir un film très fort, très violent. Mais quelque part, je me suis dit que c’était peut-être un peu trop facile. Je précise également que dans beaucoup d’histoires que j’ai entendues, beaucoup de vies auprès desquelles j’ai été confronté, je me suis rendu compte qu’il y avait eu beaucoup de moments tragiques et beaucoup de violence mais également beaucoup de moments même drôles, des moments légers parce que le rire est aussi souvent dans ces histoires-là. Je me suis dit que si je faisais un film simplement en alignant tous ces passages de grande violence, cela n’aurait pas été authentique, en tout cas cela n’aurait pas collé à cent pour cent avec mon propre vécu par rapport à ce genre d’expérience, par rapport à ce que j’ai pu approcher et par rapport aux gens avec lesquels j’ai pu discuter dans la phase de recherche de mon film. J’ai travaillé dans ce milieu et j’ai été en contact avec ces gens mais j’ai conduit aussi beaucoup d’entretiens avec d‘autres personnes et j’ai vraiment eu des morceaux de vie que j’ai voulu essayer de rendre le plus fidèlement possible. Simplement raconter le côté violent certes c’est vrai mais ce n’est pas toute la vérité, il y a vraiment ces moments de rire, de relâchement plus légers que j’ai voulu insuffler dans le film et qui font que le film est moins violent qu’il aurait pu l’être mais il est plus authentique.

Q : J’aurais voulu savoir vu que vous avez été éducateur si vous aviez été ce nouvel éducateur que l’on voit dans le film, celui qui est un peu en retrait qui observe ou plutôt les personnages principaux ? J‘aimerais savoir aussi si il y a eu beaucoup d’éducateurs qui étaient issus de contextes tragiques comme les deux personnages principaux ?

Cretton : J’étais aussi naïf et aussi stupide quelque part que le personnage de Nate dans le film. J’ai aussi dit beaucoup de choses inappropriées dans les deux, trois mois qui ont précédés son arrivée dans le centre. La leçon principale que j‘ai retiré de cette expérience c’est que je l’avais commencé avec une mentalité pas très saine dans le rôle que je devais avoir et tenir dans ce centre. J’y suis arrivé un peu en me disant qu’il y a plein de jeunes adolescents qui ont besoin et moi je vais aller les sauver, je vais tout changer. Je me situais vraiment au-dessus et d’eux et très vite je me suis rendu compte que j’avais tort tout simplement. Je vous dis cela pas en terme de leçons que j’ai apprises par rapport à ce centre mais pour la vie en général. Je me suis rend compte que je n’étais pas meilleur, qu’il n’y avait rien qui a pu faire de lui un homme meilleur que tous ces enfants et adolescents auprès desquels j’ai été en contact jour après jour. Bien sûr mon rôle était important car je savais que je devais les quitter, que je devais leur apprendre à respecter les règles mais je n’étais pas meilleur qu’eux. Ma situation n’était pas si différente fondamentalement de la leur. Sur le chemin de la vie, je n’étais pas beaucoup plus loin qu’ils étaient à ce moment-là. J’ai surtout appris l’humilité et beaucoup de choses à leur contact et retirer beaucoup de choses de tous ses rapports avec ces enfants et adolescents. J’ai appris toutes ces choses auprès d’êtres humains tout simplement qui étaient intelligents, très résistants par rapport à tout ce qu’ils avaient pu endurer et qui malgré tout ce qu’ils avaient pu endurer continuaient à être des enfants, des adolescents qui s’amusaient, qui rigolaient. C’est une des choses principales que j’ai apprise à leur contact.

Q : Tout d’abord merci pour votre formidable film. Vous disiez que vous veniez de Maui mais ce n’est pas une terre propice au cinéma. Vous souvenez- vous du moment où vous avez voulu devenir réalisateur et comment vous y êtes arrivé ? Comment avez-vous pu développer votre film et obtenu un tel niveau d’authenticité ?

Cretton : J’ai grandi à Maui. J’avais pas mal de frères et de sœurs et je n’avais pas la télévision. N’ayant pas la télévision, nous allions souvent jouer au dehors. Nous faisions de petites situations, scénettes que nous interprétions pour les parents et un peu plus tard, je suis tombé sur une caméra vidéo vhs et nous nous sommes filmés. C’est comme cela que petit à petit l’idée est venue. Ma vision du monde lorsque j’étais enfant sur l’île de Maui, était une vision qui était très petite et réduite. Cette idée de réalisateurs de films pendant très longtemps, je pensais que c’était une occupation, un jeu et certainement pas un métier. Cela m’est venu bien plus tard après mes années de lycée. J’ai commencé ensuite à devenir réalisateur avec le cursus classique tel qu’on peut se l’imaginer. En ce qui concerne les performances, le jeu des comédiens, il faut savoir que dans le film tout ce que vous voyez et entendez est écrit. Il y a très très peu, pour ne pas dire pas du tout d’improvisation, tout est écrit. Pour avoir ce côté réel et authentique des personnages, ce qui est important c’est l’atmosphère et le relâchement entre guillemets qui se passent sur le plateau. Pour avoir cette atmosphère sur le plateau, il faut savoir qu’elle était telle qu’on la voit dans le film, c'est-à-dire qu’il y a eu un esprit de famille qui s’est créé et qui a été très fort dès le départ. Quand on a cet esprit de famille sur le plateau, c’était ok de faire des erreurs, c’était ok pour dire des bêtises et n’importe quoi et que personne ne va vous juger donc vous êtes libres de vous laisser aller et étant libres, assez rapidement, vous avez cette liberté de jeu qui vient et vous apparaissez réellement à l’écran aussi libres que vous l’êtes réellement. Les personnages de Grace et de Mason dans le film et qui étaient les mentors de ces jeunes dans le film, ils étaient également les mentors de ces jeunes dans la vie. Les jeunes comédiens leur demandaient sans leur demander et cela créait un rapport d’enseignants à élèves. C‘est vrai que la relation que l’on voit à l’écran était en gros la même qui s’est créée sur le plateau et en dehors du tournage. Finalement, c’était un plateau de tournage qui était très drôle. On s’amusait beaucoup. C’est la raison pour laquelle ces enfants et ces adolescents ont l’air tellement vrai c’est parce qu’ ils le sont. Limite, ils ne jouent pas, ils étaient tellement à l’aise avec tous les membres de l’équipe du film que le jeu que vous voyez est un jeu réel.

Q : bonjour, vous aviez déjà fait un court métrage il y a quatre ou cinq ans qui portait sur le même sujet et qui a été récompensé. Pourquoi un si long délai entre le court et le long ? Pensiez-vous y déjà avant de faire le court à faire un long métrage sur ce sujet. Avez-vous déjà des idées pour vos prochains projets car je ne sais pas ce que veut dire votre prénom en français (Destin) mais moi en tout cas, je vous souhaite un destin, un futur des plus glorieux car votre film est le meilleur que j’ai pu voir.

Cretton : Short term 12 était effectivement un court métrage de vingt minutes et c’était le film que j’avais réalisé pour ma thèse de fin d’études dans mon école de cinéma. Ce court métrage avait été présenté au festival de Sundance en 2009 et avait reçu le prix du jury. Il avait aussi été présenté au festival du court métrage de Clermont Ferrand. J’ai écrit la version longue du scénario de ce court métrage aussitôt après en 2009-2010 mais je ne sais pas comment c’est en France mais aux Etats-Unis c’est très difficile d’ arriver à trouver de l’argent pour pouvoir faire un film qui traite des enfants qui ont été abusés. Ce n’est pas forcément très facile de trouver de l’argent pour ce genre de thème. Je me suis tourné vers un autre projet de long métrage, j’ai donc réalisé mon premier long métrage I Am Not a Hipster (2012) et qui a été présenté l’année dernière au festival de Sundance. Ayant présenté ce film et ayant le scénario de ce film, à Sundance, j’ai enfin pu trouver le financement nécessaire à la réalisation de ce film. En ce qui concerne d’autres projets divers pour accomplir ma destinée, tout simplement non. Cela va venir plus tard.

Q : merci beaucoup pour ce film très enrichissant et très émouvant. J‘aimerais savoir si vous êtes restés en contact avec les adolescents que vous avez fréquentés (lors de votre travail dans un centre) et est ce qu’ils ont pu bénéficier d’une projection de votre film et quel a été leur réaction ?

Cretton : en fait, je n’ai pas pu rester en contact avec ces adolescents que j’ai pu côtoyer tout simplement parce que dans le centre dans lequel je travaillais, lorsqu’un adolescent quitte le centre, les travailleurs n’ont pas le droit de garder le droit de rester en contact avec eux. Par contre, je suis resté en contact avec beaucoup de personnes de l’équipe des éducateurs. Je me rappelle tout de même d’un des adolescents que j’ai côtoyé dans un centre et que j’ai revu plus tard trois ans plus tard dans un Taco Bell (fast food mexicain) et on s’est reconnu et il avait beaucoup changé car il ne ressemblait plus à un adolescent mais à un adulte en bonne santé. Je me suis dit qu’il avait réussi à aller quelque part et j’étais vraiment content car il avait vraiment l’air d’être en pleine forme. Quelque part cette séquence vraie dans ma vie, cela a été l’inspiration pour la fin du film tel que vous l’avez pu la découvrir tout à l’heure. Maintenant, c’est vrai qu’aux Etats-Unis la réaction a été plutôt bonne par rapport aux différentes projections qui ont eu lieu. J’en suis très content. Par rapport aux personnes avec qui j’ai travaillé, c’était difficile, j’étais toujours un peu anxieux à l’idée de faire voir le film et notamment à un de mes amis qui travaillait avec moi et qui travaille encore dans ce genre de centre depuis une quinzaine d’années maintenant et qui est entièrement dévoué à ce centre. C’est quelqu’un de très critique. Lorsque j’ai écrit une des premières versions du scénario du film, je lui ai fait lire et sa réaction a simplement été le mot non. Ce qui veut dire beaucoup de choses. J’étais extrêmement stressé et lorsque j’ai organisé une des premières projections du film, au fond de la salle il y avait cet ami en question qui avait été très critique. A la fin de la projection, j’étais très stressé. Cet ami en question est venu me voir et il m’a simplement pris dans ses bras et m’a dit que c’était bon. Là, j’ai compris que j’avais réussi à raconter cette histoire de la manière la plus authentique qui soit. Cet ami est quelqu’un qui a vraiment décidé de dédier sa vie à faire ce travail. Cela fait plus de quinze ans qu’il est là-bas. Son travail est vraiment sa vie, sa destinée. J’ai ensuite organisé d’autres projections avec d’autres adolescents qui sont d’ailleurs toujours dans ces centres et qui sont venus accompagnés avec des superviseurs, des personnes pour les encadrer parce que leurs réactions peuvent être assez violentes parfois lorsqu’ils voient des aspects de leur propre vie sur un écran mais jusqu’à maintenant tout s’est bien passé. Les réactions ont été excellentes.

Propos recueillis par Mulder , le 03 septembre 2013.
Avec nos remerciements à toute l’équipe de Le Public System Cinema
Vidéo et photos: Mulder