Conference-de-Presse - The Retrieval

Par Mulder, Deauville, 02 septembre 2013

Q : Ce qui est intéressant dans votre film c’est que vous n’abordez pas le sujet comme on a l’habitude de le voir au cinéma. C’est une autre approche. En même temps, vous nous parlez d’un sujet de l’intérieur plus profondément. Vous arrivez à nous toucher par rapport à ce que les personnages vivent, par rapport à cet enfant qui représente l’avenir incertain des Etats-Unis. Est-ce que tout cela est votre idée de départ ?

Chris Eska : oui en fait ce que j’ai voulu faire voir à travers le personnage de ce jeune garçon, c’est tout simplement la perspective qui est la sienne, plus que de faire voir le film plutôt que de l’intérieur. C’est vraiment le point de vue de ce garçon qui est à un moment donné à un tournant de sa vie malgré son jeune âge où il est en train de décider d’accomplir des actions et de décider ce qu’il va faire dans ce laps de temps qui est celui du film. Cela va totalement influer sur le reste de sa vie et sur le reste de sa personnalité. C’est vrai quelque part que l’on peut établir une corrélation entre ce que va vivre cet adolescent et ce que va vivre le reste des Etats-Unis. De la même manière, c’est une période de l’histoire qui est écrite dans ce film que l’on n’a pas vraiment l’habitude de voir au cinéma qui est très peu traité, c'est-à-dire cette période qui se situe entre la fin de l’esclavage et le début de la liberté. Dans l’esprit de beaucoup de gens aux Etats-Unis à l’issue de la guerre de Sécession, il y a eu l’esclavage et puis la liberté pour tout le monde. Ce fut en réalité beaucoup plus complexe que cela et cette période a été très compliquée. Il y a eu beaucoup de choses qui se sont passées et donc cette histoire se passe à ce moment-là et encore une fois c’est aussi ce qui m’a intéressé dans ce film.

Q : J’ai une question pour le réalisateur. N’est-ce pas une raison de choix en opposant le bien et le mal proposée à ce jeune garçon selon les personnages qui l’accompagnent. N’est-ce pas aussi une question de choix entre le bien et le mal, le Nord et le Sud ? Je caricature mais les choses sont plus complexes que cela.

Eska : oui, en fait, le choix entre le bien et le mal n’est pas si simple finalement. Tout est beaucoup plus complexe que cela. Dans le film tout est beaucoup plus compliqué. C’est vrai qu’il y a beaucoup de gens qui ont vu le film et qui ont pensé qu’en fait le choix était très clair, soit le bien, soit le mal mais c’est plus compliqué que cela. Quelque part aussi cette complexité, j’ai essayé de la faire passer au travers de cette figure paternelle que le jeune personnage retrouve dans ce personnage, Nate (Tishuan Scott), qu’il est censé emmener avec lui plus au sud et qui devient un père de substitution pour lui. Encore une fois c’est compliqué. Le chemin narré dans le film peut être vu comme un chemin initiatique, c'est-à-dire qu’à cette époque-là les gens bien ne voyageaient tout simplement pas, ils allaient rarement au-delà de quelques kilomètres autour de leur maison. De partir aussi loin pour quelqu’un qui vit et connaît le sud comme étant tout son univers c’était vraiment quelque chose de très important pour lui d‘avoir cette expérience, d’aller aussi loin au nord. On entend parler de ces terres où les gens sont libres mais le fait d’y être vraiment et de rencontrer cet homme et de faire tout ce chemin avec lui c’était vraiment un voyage initiatique pour lui qui a encore été une fois très intéressant à faire dans le film.

Q : Selon vous Tischuan pourquoi votre personnage n’a aucune rancune par rapport au personnage du jeune personnage principal à la fin du film ?

Tischuan Scott : finalement la chose que ressent surtout mon personnage est qu’il a été blessé. C’est la première émotion, sentiment, c’est une souffrance puis ensuite cela devient de la colère. A la fin, il y a de la colère sans doûte mais disons que mon personnage tout d’un coup accorde sa confiance à ce jeune homme. Lorsque cette confiance est trahie, il se passe ce qu’il se passe quand des gens qui ont un lien qui se tisse très fort et que cette personne avec qui on a créé ces liens vous trahit, la première chose que l’on ressent c’est vraiment de la souffrance et cette souffrance devient souvent de la colère. Pour moi, en tout cas, mon personnage à la fin du film clairement ressent de la souffrance et de la colère.

Q : Votre personnage que vous interprétez à travers cette période de l’histoire américaine est une histoire qui vous concerne tous les deux , est- ce que c’est ce qui a fait que vous avez accepté ce rôle, c’est que vous soyez montré différemment dans cette période difficile de l’histoire ?

Scott : en fait, ce qui m’a vraiment décidé au delà des évènements dont vous parlez, c’est l’histoire. Je ne parle pas seulement de l’histoire du film mais de l’histoire dans le sens général du terme parce que ce film contribue à raconter l’histoire des Etats-Unis. Une histoire que nous n’avons pas forcément l’habitude de dire et pour moi cela a été vraiment quelque chose de vraiment important. Le fait d’avoir été dirigé en plus dans cette histoire par un réalisateur aussi talentueux que Chris cela a été quelque chose de formidable. Chris est un excellent réalisateur et il a été mon professeur dans pleins de domaines comme comment placer ma voix, comment arriver à bouge dans l’espace. Cela a vraiment été quelque chose de très intéressant. De la part du réalisateur c’est aussi arriver à créer cette histoire, ce film sur des hommes qui ont vraiment beaucoup de mérite et qui ont eu beaucoup de courage. Ce fut très intéressant pour moi. J’ai lu également beaucoup de livres pour préparer ce rôle. Cela m’a vraiment intéressé. Je me suis vraiment investi. J’ai lu beaucoup de livres qui ont été rédigés par des personnes ayant vécu ces évènements, des témoins contemporains de cette époque-là. Ce fut une chance de faire ce film avec ce réalisateur.

Q : J’ai deux questions, une pour le réalisateur et une pour l’acteur. Pour le réalisateur est- ce qu’il y a dans le choix des paysages une volonté d’insérer une certaine symbolique, le marais, la forêt, la cabane perdue par exemple. Est-ce des choix dès l'écriture dans ce parcours initiatique ? Il y avait un acteur qui avait incarné une certaine image au moment de cette histoire, je crois que c’est Morgan Freeman dans Impitoyable et qui disait que cela avait eu aussi des répercussions dans sa famille au moment où on s’était mis à lui raconter les vieilles histoires qui remontaient à trois ou quatre générations de cette époque.

Chris Eska : il n’y a pas vraiment de symbolisme mais c’est tout simplement des endroits que l’on voit dans le film des endroits qui sont très près de l’endroit où j’ai grandi. Ce sont des endroits que je connais et qui sont chers à mon cœur. C’est la raison pour laquelle je voulais les voir apparaître de cette manière-là car je les connais bien. Par exemple, cette cabine qui était à côté d’un ranch est un endroit où j’allais souvent. Je me rappelle que dans ce ranch l’herbe au sol était quelque chose qui était très intéressant car c’était une herbe très profonde, un sol moelleux, quelque chose que je connaissais bien et j’avais envie à la fin du film de voir ce personnage entre guillemets disparaître de la vie du jeune adolescent. De cette manière-là, je voulais quelque part le voir un peu s’enfoncer dans le sol et dans l’herbe et disparaître vraiment physiquement. Quand j’ai lu le scénario, j’avais en tête ce terrain car je l’avais expérimenté. C’est la raison pour laquelle j’ai filmé dans cet endroit au- delà de l’aspect symbolique.

Scott : j’ai grandi dans une ferme en Louisiane, dans le Sud des Etats-Unis. Ma grand-mère me racontait souvent des histoires, des souvenirs de sa jeunesse et aussi de ma famille et notamment du fait qu’ils ramassaient le coton dans des champs de coton. C’est quelque chose qui est tout à fait présent dans ma famille et mon esprit. Lorsque j’étais enfant, j’allais souvent dormir chez ma grand-mère, la mère de mon père. Dans sa maison, il m’est arrivé à un moment donné en pleine nuit de me réveiller et de voir des ombres en face de moi et en train de passer devant moi. C‘étaient des formes humaines, des formes d’ombre et d’entendre des bruits de chaînes. Evidemment, j’étais terrifié car j’étais un enfant. Je suis allé courir me réfugier auprès de ma grand-mère et le lendemain lorsque j’ai parlé de cela avec elle, elle m’a dit que lorsqu’elle était enfant, elle-même, elle était très intéressée par toutes ses histoires de spiritisme. Elle discutait avec des esprits et c’est quelque chose qui m’a profondément marqué. Encore une fois pour revenir sur ses histoires un peu ancestrales.

Q : ma question est pour le réalisateur, on a le sentiment de cette idée de cette quête initiatique entre le bien et le mal mais je trouve que c’est aussi un film sur la quête d’identité à travers l’enfant par rapport à l’image du père, le père absent et protecteur. J’ai l’impression qu’il y a cette étape dans laquelle on tue le père littéralement pour le coup. Le message de votre film est-elle qu’il faille tuer l’image du père pour pouvoir exister et acquérir une identité propre, tirer des éléments de chacun des pères pour ensuite devenir soi ?

Eska : ma réponse est assez simple et c’est non. J’y ai pensé effectivement. C’était quelque chose que j’avais en tête. J’ai pensé à tous ces thèmes de la difficulté d‘être soi-même et de la difficulté de trouver sa propre identité mais ce n’est pas ce que je voulais faire voir dans ce film. Il y a beaucoup de thèmes. On peut voir le film de différentes manières. Ce père de substitution on peut l’imaginer comme un thème mais avec toutes les familles où il y a des pères de substitution. Il y a beaucoup de choses que j’ai voulu faire passer avec ce film mais pas spécifiquement cela mais je comprends qu’on puisse le voir comme cela.

Q : En général quand on fait ce genre de films à cette époque-là, il y a beaucoup de reconstitution, ce sont des films à gros budget. Dans le cas de votre film, vous privilégiez les personnages, les sentiments et ce qui est joué. Vous prenez la nature comme décor naturel. Est-ce que les décors sont naturels aussi ou simplement avez-vous utilisé tout ce qui existait. On a l’impression que la plus grosse partie du budget ce sont les costumes.

Eska : il est évident que lorsqu’on veut faire un film qui se passe encore une fois à cette période. Comme vous le savez cette guerre de sécession aux Etats-Unis a eu lieu il y a pas mal de temps et les choses ont changé. Les endroits eux aussi ont changé. Pas mal de choses ont changé. Pour faire un film qui se passe à cette époque et la rendre la plus réaliste possible, ce n’est pas facile. Cela coûte de l’argent. Cela c’était encore une fois le fait de s’attacher à décrire la relation psychologique entre ces deux personnages. Il y a évidemment eu des décisions financières mais en même temps c’était également mon but de faire voir cette relation. Ce n’était pas qu’une décision financière car c’était aussi important de faire voir la relation entre les deux personnages. C’est un film qui est beaucoup moins élitiste que mon premier long métrage. Dans mon premier long métrage à la fin par exemple il y avait une scène avec un grand mariage. Au lieu de faire voir cette scène avec ce grand mariage, j’ai utilisé ce fameux système qui s’appelle une ellipse. C'est-à-dire, j’ai fait voir la préparation du mariage et juste après il y a eu un cut et on s’est retrouvé avec la photographie que l’on prend à la fin du mariage. On avait tout à fait compris qu’il s’agissait d’un mariage mais sans le faire voir. C’est une petite astuce que l’on peut prendre. Mais, dans ce film, c’est un drame. Ce n’est pas un film de guerre, cela se passe pendant la guerre. C’est un drame humain. Ce qui m’intéressait c’étaient les émotions, encore une fois le rapport qu’il y avait entre ces deux personnages principaux surtout. On a aussi beaucoup travaillé sur le langage corporel, ce genre de choses que l’on peut faire voir au cinéma lorsque l’on filme relativement près de ces personnages. Cela a été assez aisé à faire. Ceci étant dit, ce que vous avez dit est tout à fait exact. Nous avions effectivement un designer pour les vêtements qui a fait un excellent travail sur ce film. Cela dit, pour certaines scènes avec des pistolets, des revolvesr, des chevaux et pas mal de choses comme cela, beaucoup d’uniformes étaient effectivement très crédibles et semblaient réellement véridiques, il y avait une certaine véracité historique qui a été apportée. Aux Etats-Unis, vous n’êtes peut-être pas au courant, la guerre de sécession c’est quelque chose qui est encore très vivant. Il y a énormément de gens, de groupes, d’associations, de personnes qui travaillent dans le but de faire vivre cette histoire. De temps en temps, ils fabriquent eux-mêmes des vêtements. C’est comme les fans de Star Wars mais c’est sur la guerre de Sécession. J’ai fait appel à toutes ces associations qui ont été extrêmement intéressées et se sont vraiment investies eux-mêmes pour pouvoir apporter des gens, des costumes et en plus de cela pouvoir vérifier que telle arme était vraiment l’arme utilisée, ce genre de détail qui aurait réellement coûté très cher sur un autre genre de production. Grâce à la bonne volonté et à l’énergie de tous ces fans de reconstitutions historiques on a pu avoir ce résultat tout à fait crédible et satisfaisant à l’écran.

Propos recueillis par Mulder , le 02 septembre 2013.
Avec nos remerciements à toute l’équipe de Le Public System Cinema
Vidéo et photos: Mulder