Conference-de-Presse - City Island

Par Mulder, Deauville, 11 septembre 2009

Q : Mes questions s’adressent d’abord au réalisateur : le sujet principal de ce film, qui sont ces petits mensonges qui défont ces familles et l’amour de Raymond pour la musique, que l’on sent particulièrement pour le film ? Quant aux questions pour Andy Garcia, cela porte déjà sur la difficulté de faire de telles imitations de l’interprétation de Marlon Brando, et si le fait de tourner avec Scorsese est un fantasme ?

Raymond De Felitta : En fait, plus je vieillis - et j’espère que je n’ai pas encore fini de vieillir -, plus je me rends compte que ce qui compte réellement dans la vie et ce qui est important est le sentiment humain le plus commun, le plus partagé : c’est la honte, l’embarras d’assurer ce que l’on a fait, ce que l’on a été. J’ai fini par comprendre qu’il y a un passage obligatoire par le fait de reconnaître son passé, d’assumer ce que l’on a été, ce que l’on a fait. Le seul moyen de grandir, d’être conforme à ce que l’on veut être dans le futur, c’est d’accepter ce que l’on a été dans le passé. Cela est le sujet qui me tenait à cœur et qui est au cœur de mon film. Mais je voulais aussi faire rire les spectateurs. Je tenais à ce que cette histoire soit une histoire dramatique, voire mélodramatique, et qu’en même temps, elle fasse rire. Je pense que la meilleure façon d’assumer ce que l’on a de plus gênant dans son histoire, c’est d’en rire. Un de mes points communs avec Andy Garcia, c’est d’avoir eu un premier amour avant le cinéma, qui a été la musique. Andy a déjà été musicien d’abord, moi aussi. J’étais pianiste de jazz. Je me dis parfois que j’ai eu tort, que j’aurai dû poursuivre cette voie. Je reviens à la réalité en me disant, que s’il y a un métier encore moins stable que celui de réalisateur, c’est celui de musicien. Je m’adonne au cinéma, mais en veillant toujours quand j’écris un scénario à y inclure des morceaux de musique. Mais aussi pendant mon travail d’écriture, j’écoute de la musique. Cela me permet de manipuler une matière qui compte dans ma vie, mais c’est aussi une distraction auditive, qui me permet de me concentrer sur mon travail.

Andy Garcia : Pour ce qui est de Scorsese, oui, je rêve de travailler avec lui. C’est un très grand réalisateur. J’ai eu le privilège de travailler avec de très grands réalisateurs (Francis Ford Coppola, Ridley Scott) et j’aimerais beaucoup que son nom vienne s’ajouter à cette liste. On avait le rêve secret qu’il vienne jouer dans le film et que ce soit avec lui que je passe l’audition, mais cela n’a pas été possible. Donc, on s’est contenté de l’histoire du coup de fil. Pour ce qui est de Marlon Brando, c’est quelque chose qui est venu après, c’est moi qui l’ai suggéré. Quand Raymond m’a apporté le scénario, il y avait cette histoire d’audition, mais en fait, lui était complètement obsédé par Robert De Niro et donc il y avait cette idée de film autour de De Niro et Scorsese. Son univers à lui, ces modèles à lui, j’ai trouvé qu’il était bien qu’il y ait ce modèle de hiérarchie, de panthéon au sommet duquel il place Brando, comme le Dieu absolu et puis après, qu’il y ait ces petits Dieux Scorsese et De Niro et que cette personne ait la chance de participer à un film avec ces deux personnes. J’ai trouvé que l’idée était drôle. L’idée de l’audition était déjà là, c’était déjà écrit. Mais j’ai trouvé que cela pourrait être drôle pendant cette audition, que complètement pris de panique, dans son incapacité totale à s’adapter à ce qu’on lui demande, l’idée était drôle, que de façon très incontrôlée, très inconsciente, il commence à se mettre dans la peau de son Dieu, qui est Marlon Brando. Voilà comment les éléments se sont ajoutés. C’est à ce moment là qu’a été écrite la scène du monologue. Ce sont des éléments qui se sont imbriqués pour donner cette vie au film.

Q : Félicitations pour le film, qui est absolument magnifique ! J’aimerais savoir comment cela s’est passé lors du tournage, quel regard ils ont eu l’un sur l’autre ? Andy et Raymond ont tous les deux été réalisateurs, acteurs, et compositeurs. A ce niveau là, quel regard ils ont sur le travail de l’un et de l’autre ? J’aimerais savoir aussi, comment Andy s’est préparé pour ce rôle ? Enfin petite question subsidiaire, est-ce que Dominik est la fille d’Andy ?

Garcia : Selon les termes de ma femme, oui, Dominik est bien ma fille aînée. C’est la première actrice de la famille après moi, c’est le troisième film dans lequel nous jouons ensemble. Ma cadette fait également du cinéma, puis j’ai une autre fille, qui vient de rentrer à l’université à Boston et qui n’est pas encore actrice. J’ai aussi un petit garçon de sept ans et demi, qui vient de jouer dans un film et qui croit me rassurer en disant que lui aussi sera acteur. Pour ce qui est de travailler avec Raymond, c’est la première fois, il me semble que nous avons vraiment une fibre et une sensibilité commune envers la vie, envers la musique, envers le cinéma et immédiatement quand il m’a apporté ce scénario, j’ai été séduit et je me suis engagé sur ce projet et lui aussi prétend avoir senti le même mouvement envers moi quand nous avons eu cette chance de travailler ensemble. Je trouve que le fait qu’il soit aussi un musicien de jazz donne comme cela une tonalité, une fibre à son travail, que je partage avec lui. On a un sens commun des choses. En fait, il a fait un film qui s’appelle Two family house que j’ai beaucoup aimé et dans lequel j’aurais voulu avoir le premier rôle.

De Felitta : Pour ce qui est de nos affinités communes avec Andy, on a une même attitude envers la vie, envers l’art et le cinéma. Mais après, ce que je dois vous dire, c’est que dès que l’on a commencé à travailler ensemble, on s’est rendu compte qu’il ne s’agissait pas d’une simple collaboration au sens classique. C’était vraiment le fait d’unir nos forces, d’unir nos visions du monde pour faire quelque chose ensemble. Je crois que le cinéma c’est vraiment cela. Ce travail d’équipe est vraiment un travail d’entrepreneur et on donne vie à une histoire ensemble. Notre rencontre s’est faite dans cet esprit-là. Je dois dire que je connais Andy comme acteur depuis très longtemps. Je l’admirais en tant qu’acteur. C’est seulement un ou deux ans avant notre rencontre que je l’ai découvert comme réalisateur. J’ai vu son film Adieu Cuba. J’ai découvert qu’Andy avait une ambition, une vision, un vrai talent de réalisateur. Je me suis demandé si je devais me laisser intimider ou si devais changer ma façon dont je considère ce travail. J’ai décidé que non, que c’était une très bonne chose de travailler avec lui, non pas en le considérant tout simplement comme acteur. Pour finir avec l’autre partie de votre question, je ne suis qu’un acteur amateur. Je ne prends pas au sérieux ce que j’ai pu faire comme acteur, mais je crois que mes quelques rares expériences d’acteur m’ont servi à éviter des pièges. J’ai compris ce qu’un réalisateur ne devait jamais faire avec des acteurs et rien que pour cela, ça a été une très bonne chose. Tous les réalisateurs devraient s’amuser une ou deux fois à jouer un rôle pour savoir ce que l’on ne peut pas se permettre de faire et de demander aux acteurs.

Q : Le film raconte l’histoire d’un homme qui veut devenir acteur. On rend hommage à l’acteur Andy Garcia aujourd’hui. Est-ce qu’il pourrait nous faire ce jour un petit retour sur ses débuts au cinéma ? En garde-t-il de bons souvenirs ou des mauvais aussi ?

Garcia : Enfant, j’ai connu l’exil. J’ai dû quitter Cuba et le drame de l’exil, je n’ai pu y trouver une consolation que dans l’art, la musique et le cinéma. C’est dans ces termes que j’ai vécu le cinéma, qui me permettait de m’échapper, de vivre dans un monde plus heureux. J’ai eu une inspiration assez naturelle quand il s’agissait de choisir un métier, de participer à ce monde merveilleux. Mais y participer, caresser ce rêve, ce n’a pas été plus facile pour moi que pour d’autres. C’est toujours très difficile d’arriver à réaliser ce rêve là, donc en tant qu’acteur, on joue gratuitement dans des théâtres, on continue ainsi à apprendre ce métier, mais y arriver à en vivre et obtenir ce que l’on attend de ce métier a été quelque chose de très difficile et moi, d’un point de vue émotionnel, j’ai dû accomplir un parcours très semé d’embûches pour arriver à ce que je voulais être dans le cinéma. Je l’ai fait, ce rêve s’est réalisé. Je continue de rêver, mais je crois que c’est à force d’acharnement et d’entêtement que ce rêve s’est réalisé et je suis devenu acteur et j’ai pris part au rêve du cinéma. Je ressens une grande humilité d’être là et un grand honneur, quand je vois que le festival de Deauville choisit de me recevoir, de m’accueillir et de me réserver ce vibrant hommage.