Conference-de-Presse - Precious

Par Mulder, Deauville, 11 septembre 2009

Q : Votre film a été primé à Sundance. Je vous dis bravo aussi pour votre film, pour tout ce que vous y dénoncez. Est-ce que pour faire un film comme cela, il faut être une vraie éponge, soit être un artiste, qui a envie de parler des vrais gens et de faire de vrais films ?

Lee Daniels : Tout d’abord, merci pour vos commentaires très gentils. C’est vrai que pour moi, ce fut une très belle expérience ce qui s’est passé ici dans le C.I.D. [endroit où fut projeté le film et où la salle a longuement applaudi]. Ce film a aussi été projeté au festival de Cannes. J’ai eu l’impression que toute la salle venait du monde entier et était des citoyens du monde, des gens. Savoir que j’ai pu toucher avec cette histoire personnelle autant de gens différents, autant de gens de pays différents est quelque chose d’émouvant pour moi. L’histoire que je raconte dans mon film est une histoire très sombre et si j’avais voulu parler uniquement de ce côté sombre, j’aurais fait un film très sombre et très douloureux. Mais ce n’est pas ce que je voulais. Je voulais que les acteurs trouvent en eux le rire et l’humour, même à des moments qui ne sont pas forcément appropriés. Je voulais donner à ce film une impression de montagne russe : tout à la fois on a peur, à la fois il y a de l’humour, de la tristesse. On passe de l’un à l’autre immédiatement, on est un peu secoué par tous ces éléments. Pour vraiment aller de l’avant, il faut trouver la force de rire, d’en rire. Le rire fait disparaître et passer la douleur de certaines situations de la vie.

Q : Comment avez-vous découvert le livre dont ce film est tiré ? Est-ce que cela a été difficile de l’adapter ? Avez-vous décidé d’adoucir certains angles, de laisser certaines choses de côté ?

Daniels : Le livre dont est tiré le film est très célèbre dans la communauté urbaine à Harlem et dans d’autres ghettos aux Etats-Unis. Lorsque j’ai produit mon premier film A l’ombre de la haine pour lequel Halle Berry a obtenu l’Oscar de la Meilleure actrice aux Etats-Unis, mon frère m’a passé ce livre. Je l’ai lu et trouvé spectaculaire. J’ai été bouleversé par ce livre. Je l’ai lu et relu et passé toutes mes nuits dessus. J’ai eu l’impression qu’un tsunami m’a emporté loin et m’a ramené. Au bout d’une semaine, j’ai appelé la personne qui a écrit le livre et je lui ai demandé si je pouvais avoir les droits pour l’adapter au cinéma. L’auteur m’a dit que non dans un premier temps, cela ne l’intéressait pas, car elle pensait que c’était mieux de laisser ce livre en tant que livre et pas en tant que film. J’ai persévéré pendant huit ans et à un moment donné, l’auteur a donné son accord. L’adaptation du livre au cinéma n’a pas été difficile en soi, mais cela a été un défi pour une raison très simple : c’est que le livre est beaucoup plus sombre que le film, il est beaucoup plus dur. J’ai donc insufflé certaines choses dans le film, qui n’étaient pas présentes dans le livre, comme le thème du fantasme, du rêve de l’héroïne. Le personnage principal se réfugie dans ses rêves, dans ses fantasmes pour tenir le coup. Il y a de ce personnage dans chacun d’entre nous et comme elle, quand quelque chose de dur m’arrive, j’ai tendance à me réfugier dans un monde plus doux, plus irréel. Si j’avais fait le film comme le livre, il aurait été classifié X et donc personne ne l’aurait vu.

Q : Avant de poser ma question, je tenais à dire que j’ai pu voir ce film à la fois à Cannes et à la fois à Deauville, et de voir la différence de réaction entre les salles, cela montre à quel point votre film touche un grand nombre de personnes. Votre film a été soutenu par Oprah Winfrey, qui est une des femmes les plus influentes des Etats-Unis. J’aimerais savoir comment elle est arrivée sur ce projet et connaître son influence sur votre film ?

Daniels : Tout d’abord, je vous remercie pour vos commentaires très sympathiques. J’ai donné le film à Oprah dès que je l’avais fini. C’était avant le festival de Sundance. Je lui ai passé mon film, car avant d’être cette célèbre personne publique, je pensais qu’elle était le genre de personne qui pouvait le comprendre. A l’époque où je lui ai donné mon film, elle était très occupée à soutenir le candidat à la Maison Blanche Barack Obama. Elle n’a donc pas pu voir ce film avant le festival de Sundance. J’étais dans la salle au moment de la remise des prix. J’étais prêt à aller chercher mon prix, quand mon portable a sonné et c’était écrit sur mon portable numéro inconnu. J’ai décroché et entendu c’est Oprah Winfrey. Elle m’a dit avoir beaucoup aimé le film. J’ai été très humble, très honoré de ces remerciements. Le fait qu’elle ait vu et apprécié le film et décidé de le soutenir est pour moi un peu comme une cerise sur un gâteau. J’ai fait ce film pour elle, pour les gens comme elle. Je sais bien que c’est un film difficile à regarder aux Etats-Unis et j’ai besoin de toute l’aide que je peux avoir.

Q : On ne fait pas un film aussi convaincant si on n’a pas été témoin soi-même de ces violences ou si peut-être on les a subies. Est-ce que c’est le cas en ce qui vous concerne ?

Daniels : J’ai reçu moi-même quelques coups dans mon enfance, j’ai été le témoin de comportements brutaux dans ma jeunesse. Je me souviens d’une expérience qui a été très traumatisante pour moi. Lorsque j’avais eu onze ans, il y avait une petite fille qui vivait près de chez moi et un jour lorsqu’elle a eu cinq ans, elle a sonné à ma porte à 15h00. J’ai ouvert et elle était complètement nue et instinctivement, elle s’est protégée son intimité avec ses mains et m’a dit tout simplement que sa mère allait la tuer. Elle était couverte de sang, elle avait été battue de manière assez terrible. Ce que j’ai ressenti à ce moment-là, c’est la même chose que j’ai ressenti en lisant le livre. J’ai du mal à dire, à articuler ce que je ressens sur ce livre. Mélange de nausée et de peur, car je savais que cette petite fille allait retourner chez sa mère. A cette époque-là, les services sociaux ne protégeaient pas les enfants comme ils le font maintenant. Je n’ai plus revu cette petite fille, mais je lui dédie ce film. Faire ce film a été une expérience bouleversante pour moi. Precious est plus qu’un film pour moi. C’est mon expérience personnelle, c’est quelque chose qui m’est très cher. Je connais beaucoup de Precious moi-même, car j’ai grandi dans cet univers là. Ce film est à leur mémoire.

Q : Je voulais vous féliciter vraiment et sincèrement, vous avez beaucoup de talent, vous avez raison d’exprimer par l’humour le fait de combattre. Je pense que la meilleur façon de rester à l’alerte dans ce genre de situation, c’est la fantaisie, l’humour. Ma question est de savoir pourquoi avoir choisi des célébrités comme Mariah Carey et Lenny Kravitz pour interpréter des rôles dans votre film ? Est-ce un appel au volontariat pour qu’il y ait des gens célèbres qui se lèvent et se mobilisent pour faire ce que le gouvernement ne fait pas, soit de l’alphabétisation ou défendre les femmes violées dans la société américaine ?

Daniels : J’avais produit un autre film The Woodsman, qui avait été présenté ici même au festival de Deauville, il y a cinq ans. A l’époque où j’ai produit ce film, j’avais fait des statistiques. Celles-ci disaient qu’un enfant sur quatre avait été abusé sexuellement. Ce sont les chiffres officiels, ceux qui sont allés le dire à la police. Le vrai chiffre fait encore plus froid dans le dos. C’est quelque chose qui m’a vraiment bouleversé. Le film Precious est aussi un film pour ces enfants-là. Pour tous ces enfants qui sont innocents et qui sont abusés physiquement et sexuellement. Lorsque nous parlons de Mariah et de Lenny, ces personnes sont d’abord mes amis que je connais depuis longtemps. Ils comprennent le film et m’apprécient pour le film que j’ai voulu faire. Ce film leur a été très cher. Ils l’ont fait gratuitement pour moi, car ils croyaient en les vertus de ce film. Ce thème me touche personnellement profondément, même à l’heure actuelle où je vous parle. Lenny et Mariah m’ont fait confiance et moi de même. A travers cette confiance mutuelle, nous avons pu trouver un instant magique. C’est ce qui s’est passé. J’ai été très heureux que cette collaboration ait été aussi fructueuse.

Q : Est-il possible d’en savoir un peu plus sur le reste du casting, à part les célébrités ? Comment avez-vous effectué votre processus de casting ? Certains des acteurs étaient-ils de vos proches ?

Daniels : J’avoue que j’aime réaliser des films avec mes proches, les faire jouer. J’apprécie travailler avec des personnes que je connais, qui connaissent mes défauts, mon côté un petit peu fou parfois. Lorsque l’on travaille, on ne fait pas de répétitions ensemble. On s’assoit et on discute de tout. Moi et mes acteurs ne font plus qu’un, on est sur la même longueur d’onde et ma direction d’acteurs consiste à grogner, à bouger les bras, mais on se comprend totalement. Cette façon de travailler ensemble est très primal en soi. Monique, qui joue le rôle de la mère, est une des actrices les plus célèbres en ce moment aux Etats-Unis. J’avais déjà travaillé avec elle sur Shadowboxer et travailler avec elle n’est pas travailler mais s’amuser. Gaby est une actrice qui n’avait jamais joué avant. C’est le directeur de casting qui se trouvait à New York qui a vu cinq cents filles, mais lorsqu’elle est entrée dans la pièce et qu’elle a lu son texte, c’est devenu une évidence que c’était elle, celle que nous recherchions. J’ai longuement discuté avec elle et j’ai eu l’impression que Dieu me disait que c’était elle l’actrice qu’il me fallait. Paula Patton, qui joue le rôle de l’enseignante, est une de mes amies. Je prends mon travail pour un terrain de jeu.