Conference-de-Presse - Conversation avec Francis Ford Coppola

Par Mulder, Deauville, 03 septembre 2011

Francis Ford Coppola Q : Pouvez-vous nous parler de la relation particulière et professionnelle que vous avez eue avec Marlon Brando sur deux films clés du cinéma, Apocalypse now et Le Parrain ?

FFC : A la fin des années 1950, j’étais un simple étudiant en théâtre. J’étais dans une faculté très spécialisée en théâtre et Marlon Brando faisait partie de ces figures que nous admirions, au même titre que Tennessee Williams ou Elia Kazan. C’était le nom qui circulait entre nous, fervents partisans de théâtre et de cinéma. C’était à celui qui l’avait vu dans Viva Zapata ! ou dans d’autres films. On ne parlait que de cela. C’étaient les personnes que l’on rêvait de rencontrer. Comme je m’intéressais au théâtre, puis au cinéma, les personnes que je rêvais de rencontrer étaient des personnes comme Marlon Brando.
Le tout premier script que j’ai pu écrire en tant que jeune auteur de cinéma était Reflet dans un œil d’or et j’avais déjà pensé à Marlon Brando pour qu’il le tourne. Pour Conversation secrète, film que j’ai tourné avant Le Parrain, j’avais aussi l’idée qu’on lui soumette le scénario et qu’il le joue, mais il ne l’a pas fait. Je me suis intéressé au Parrain à partir du moment où le livre commençait à avoir de plus en plus de reconnaissance et de popularité. J’ai songé à lui pour le rôle de Don Corleone, mais il avait une très mauvaise réputation auprès des studios. Je me souviens que la première fois que je l’ai rencontré, c’était sur le tournage des Révoltés du Bounty et il était aussi impressionnant que sa réputation le laissait entendre. Je ne vais pas vous refaire toute l’histoire de la production du film, mais au début, cela a été très mal perçu et les financiers n’en voulaient pas. J’ai réussi à l’intégrer dans ce projet. Cela s’est fait entre nous, comme à chaque fois que nous avons travaillé ensemble avec très peu de mots. C’était le type d’acteur avec lequel j’arrivais à correspondre à son attente pendant un tournage, c'est-à-dire à faire les choses de façon très tacite, très sous-entendue, en lui apportant quelques accessoires, comme des morceaux de fromage italien ou des cigares italiens ou en lui mettant un chat entre les mains pour une scène. C’était ce qu’il voulait. Ce que nous ne savions pas, c’est qu’il venait sur le tournage avec des boules Quies dans les oreilles. Cela ne l’intéressait pas qu’on le baratine et moi cela me convenait, je m’y tenais et cela me convenait aussi d’arriver à travailler ensemble sans avoir trop de choses à se dire.

Q : J’aimerais savoir comment cela se passe pour les jeunes réalisateurs aux Etats-Unis pour faire sa place dans ce milieu-là ?

FFC : Je crains que cela soit encore plus difficile aux Etats-Unis que cela l’est en France ou en Europe, car vous avez un ministère de la Culture, vous avez des organismes, des institutions qui sont censés prendre soin des jeunes artistes et les soutenir, que cela soit des réalisateurs ou des producteurs. Dans notre pays, nous n’avons même pas un sous-secrétariat dédié aux questions culturelles. Néanmoins, vous avez un ministère qui vous dit que l’on s’en charge pas dans certains cas, nous, on n’a personne qui nous dit qu’il ne s’en occupe pas.

Q : Tout à l’heure vous avez dit que vous aimeriez rencontrer Marlon Brando quand vous étiez jeune. Comprenez-vous maintenant que cela soit vous qui fassiez l’objet de rêves ?

FFC : Je dirais que c’est différent. Pour quelqu’un comme Marlon Brando, il faut se rendre compte qu’il a été extrêmement aimé et admiré dès l’âge de 25 ans. C’était un très bel homme. C’est quelque chose qui prévalait sur son talent et sur la carrière qu’il a pu avoir. C’était quelqu’un que tout le monde voulait connaître et toute le monde voulait faire savoir qu’ils le connaissaient. Quand on était parmi les connaissances de Marlon Brando, on l’invitait pour pouvoir s’en vanter. C’est quelque chose qui a marqué sa carrière tout au long, cette espèce de charisme, de « aura » qu’il avait que les gens lui vouaient à plusieurs titres. Moi, je ne peux pas dire que cela a été mon cas, même si j’ai commencé très jeune. J’ai vraiment dû me battre, on s’est beaucoup opposé à moi. Quand j’ai fait Apocalypse now, je me suis fait traiter de mégalo donc cela n’a pas été facile. On m’a mené la vie dure et il a fallu vraiment que je me fraye un chemin vers une certaine gloire.

Q : Pouvez-vous nous parler de votre travail sur Twixt, sur l’évolution du cinéma ?

FFC : En fait cette idée à propos de Twixt, mon dernier film, est d’en faire une sorte de spectacle vivant, m’est venu il y a un an et demi lorsque j’étais dans je ne sais quel festival où il n’était question que d’une chose, d’Avatar et de la 3D, grande nouveauté du cinéma qui allait révolutionner le cinéma moderne. Cet enthousiasme me laissait un peu sceptique. Je me souviens depuis que j’étais jeune dans les années 1950, il était question que la 3D soit la solution qui allait ramener les gens dans les salles de cinéma. Je me souviens que même Alfred Hitchcock avait tourné une version 3D du Crime était presque parfait et que finalement il ne l’a même pas montrée. Cela n’a jamais été la révolution qui était annoncée. J’ai donc du mal à croire qu’aujourd’hui encore ce soit l’avenir et quelque chose d’inédit dans le cinéma mondial. Moi, je me disais que finalement que là où l’on peut avoir un nouvel usage de la technologie moderne dans le cinéma, car les films ne sont plus sur pellicule mais sont en numérique, il est possible de rapprocher du cinéma d’autres formes d’art, de l’art vivant, comme de la musique ou du théâtre, de proposer une sorte de montage direct, qui fait que le réalisateur, de même que le faisaient les compositeurs à l’époque qui accompagnaient les orchestres pour exercer leur travail. Ils étaient là et étaient les chefs d’orchestre du morceau qu’ils avaient eux-mêmes composé pour pouvoir vivre de leur travail. Il faudrait peut-être que les réalisateurs accompagnent leur film et en donnent une version qui à chaque soir était joué de façon vivante devant la salle. C’était l’idée que j’avais derrière la tête quand je me suis rapproché de ce projet Twixt. C’est un mot ancien qui est dans l’idée d’entre-deux, entre le jour et la nuit, entre le rêve et la réalité, le bien et le mal et cette zone d’ombre entre-deux m’a inspiré et j’ai voulu en faire une œuvre dans la tradition gothique, proche de l’univers d’Edgar Allan Poe qui n’a été sauvé et reconnu que grâce à la tradition française et grâce à l’inspiration qui a été donné par un poète comme Baudelaire. Cela s’inscrit dans cette tradition gothique, mais c’est aussi un petit film comme j’aime les faire. J’aime l’histoire et c’est aussi un film à petit budget comme ceux de Roger Corman, même si ce n’est plus vraiment le cas, cela devait l’être à l’origine. C’est un film auquel je suis attaché et que je suis impatient de présenter au public. [La salle applaudit l’excellente traductrice pour sa traduction parfaite.]

Q : J’aimerais vous féliciter pour m’avoir apporté beaucoup de bonheur dans ma vie de cinéphile et j’aimerais vous poser une question assez technique : il y a pile trente ans, vous faisiez un film qui s’appelait Good girl et vous étiez le premier à vous intéresser à la vidéo et ce n’était pas à l’époque la mode et vous avez été le premier à aller dans cette direction et aujourd’hui tout le monde y vient. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Vos trois derniers films ont été tournés en HD. Quelle est votre relation avec le cinéma numérique ? Avec le recul cela a-t-il apporté quelque chose de positif ? Quels sont les excès, les choses négatives que cela a apporté dans le cinéma ?

FFC : Ma fille Sofia refuse de faire un film qui ne soit pas sur pellicule. Je comprends bien que la jeune génération ait ce soucis, cette envie de s’inscrire dans la grande tradition du cinéma d’antan sur pellicule, même si acheter de la pellicule est difficile aujourd’hui. Je sais bien que l’évolution qu’il y a eu dans la photographie va se ressentir dans l’industrie du cinéma et que dans à peine cinq ou dix ans, tous les films seront tournés en numérique. Mais moi, cela fait déjà longtemps que je travaille et maintenant j’ai vraiment envie de découvrir cette nouvelle technologie, ces nouvelles possibilités qui vont croissantes. Il est incroyable de voir à quelle vitesse cette technologie s’améliore et ouvre des perspectives nouvelles. Même Aeroflex a dit que maintenant, eux aussi faisaient des caméras digitales et numériques et je leur ai posé la question s’ils faisaient aussi des caméras pour les films et ils ont dit que non, même s’il est encore possible d’acheter des Aeroflex en pièces détachées. Ce qu’il faut savoir, c’est que la transition du 35 mm à la réalisation en numérique modifie profondément la méthode et l’esprit du travail d’un cinéaste. Nous sommes passés d’une juxtaposition mécanique de plans tournés à de la composition. Le cinéma est devenu plus proche de cet art sœur qu’est la musique, et le réalisateur peut travailler sur les harmonies, des enchaînements d’harmonie, sur un maniement plus profond de la matière et l’articulation entre les images et le son. Je pense que nous sommes à une période charnière, à l’aube d’une période extraordinaire, très belle et très puissante de l’évolution de l’art cinématographique. Comme toujours, ce qui empêche l’avènement de cette révolution fondamentale, ce sont les intérêts commerciaux. Ceux qui détiennent les capitaux et ceux qui ont ce souci de l’évolution financière et commerciale ont peur de cette révolution numérique trop rapide et de la libération des moyens, car cela peut entraîner leur perte de contrôle.

Q : J’aimerais savoir si vous avez conscience de l’impact sur l’inconscient collectif de vos images, et notamment des images de Apocalypse now, en voyant les images des rebelles libyens ces dernières semaines ?

FFC : Il se trouve que je suis quelqu’un de plutôt timide et j’ai envie d’être à l’écart. Je n’aime pas être mis en avant. C’est pour cela que j’aime jouer avec les enfants. Marlon Brando adorait jouer avec les enfants, lui aussi, car ils viennent jouer avec vous en se fichant de qui vous êtes en dehors du moment que vous passez avec eux. Je n’ai pas envie de me dire que j’ai exercé une quelconque influence au-delà de mes films, même si bien sûr quelque chose vous échappe quand vous faites une œuvre artistique. Cela a un impact au-delà de ce que vous pouvez concevoir préalablement et aussi de ce que l’on est capable de digérer soi-même a posteriori. C’est tout le problème de faire un film qui soit contre la guerre, car à partir du moment où vous la mettez en scène, vous faites malgré vous l’éloge de la guerre, de la violence. Les images en elles-mêmes ont une telle force d’attraction du moment que l’on voit des personnes se faire tirer dessus, des personnes qui meurent, qui saignent, il y a quelque chose de cette imagerie qui exerce une fascination à laquelle on ne peut pas échapper. Le seul moyen de faire un film qui soit à proprement parler anti-guerre, serait de mettre en scène le mariage d’une famille en Libye et en Irak, et la difficulté de ces gens à trouver les moyens nécessaires. Quelque chose du quotidien, de paisible et de doux qui ne rentre pas dans le domaine de la guerre. Si vous touchez à la guerre, vous la valorisez plutôt que de lutter contre elle.

Q : Comment le cinéma français influence votre cinéma et pensez-vous comme votre fille venir tourner un film en France ?

FFC : Je crois que je fais partie d’une génération bénie. Nous qui sommes venus au cinéma à la fin des années 1950, nous nous sommes retrouvés pris dans un double-courant extrêmement bénéfique, d’une part ce qui restait de l’âge d’or du cinéma hollywoodien, on bénéficiait encore des effets positifs de ce qu’avaient fait King Vidor ou Billy Wilder, ces grands films de studio aux Etats-Unis et d’autre part une ouverture à des cinéphilies étrangères, comme la Nouvelle Vague, le cinéma scandinave de Bergman ou Dreyer ou même le cinéma japonais. On apprenait qu’un autre cinéma était possible. Nous étions très inspirés par ce cinéma venu d’ailleurs, tout en voulant nous montrer à la hauteur de ce qu’offrait le cinéma américain. Nous étions dans un grand moment de liberté de forme et de sujet, qui nous était inspiré par l’étranger et puis la force du cinéma hollywoodien. Il s’agissait pour nous d’arriver à construire notre propre chemin dans le cinéma indépendant. Encore aujourd’hui, ce qui reste intéressant à travers le monde, c’est le cinéma indépendant. Il faut le défendre face au cinéma commercial, qui ne fait que refaire éternellement le même film. Parfois, c’est assumé et l’on appelle ça des suites, parfois non, mais cela reste la même chose. Les grands drames n’existent plus. Il y a bien sûr des genres différents, avec des catégories bien déterminées, mais il existe toujours un cinéma indépendant qui a su se nourrir d’influences multiples. Aux Etats-Unis, nous avons Paul Thomas et Wes Anderson, un jeune cinéaste du nom de Woody Allen [rires] ou encore Steven Soderbergh, qui parvient à enchaîner films hollywoodiens et projets personnels. C’est cela, l’enjeu principal pour les jeunes cinéastes aujourd’hui, c’est d’arriver à faire leurs propres films. Vous évoquiez la difficulté de percer ici, mais au moins il existe dans des pays comme la France cette possibilité de percevoir des aides, des subventions pour arriver à travailler à produire un travail personnel en dehors du courant commercial. Aux Etats-Unis, c’est beaucoup plus difficile à obtenir. La France est le pays de la cinéphilie, Paris la capitale du cinéma d’auteur, et vous pouvez vous enorgueillir de cela. Je suis très fier de ma fille, de mes enfants. Ils œuvrent dans le soucis de faire de vrais films personnels. Après, même s’il y a des aides en France, j’ai toujours eu le souci de ne rendre de comptes à personne et donc de faire des films avec mon propre argent. Même avec des aides de l’Etat, ce qui compte est de faire des films indépendants et personnels.

Francis Ford Coppola

Q : En 1979 avec Apocalypse now, vous avez réalisé le film emblème de toute une génération marquée par le traumatisme de la guerre. Dans quelques jours, nous allons fêter le triste anniversaire des dix ans du 11 septembre 2001. Selon vous, comment le cinéma américain a-t-il pu rendre compte du drame du 11 septembre

FFC : La tragédie du 11 septembre a en fait éveillé les consciences par l’usage de la violence et du terrorisme sur le fait que plus d’un milliard et demi de la population mondiale, de confession musulmane, vit le plus souvent dans une grande pauvreté et sont opprimés par un pouvoir soutenu par nous. La violence émanait de ce contexte-là. Evidemment, c’est une très mauvaise chose que cela s’exprime à travers une tragédie de la sorte, mais depuis, il y a eu une prise de conscience relative et un questionnement. Pourquoi avons-nous été pris pour cible ? Les pays occidentaux sont-ils responsables de ces actions terroristes pour avoir soutenu des dictateurs au nom du pétrole et des intérêts commerciaux ? Quelque chose de cet ordre-là s’est passé, même si je regrette personnellement que cette prise de conscience n’ait pas été plus large. Les positions des uns et des autres ont été exacerbés et dix ans après cet évènement tragique, on n’a pas réussi à nous remettre totalement en question, à réfléchir à notre niveau de confort, quand des populations vivent dans la pauvreté. Est-ce que notre confort, nous ne le devons pas en partie à la difficulté dans laquelle vivent ces populations que nous désignons du doigt aujourd’hui ? J’aurais voulu que la prise de conscience soit plus vaste et que l’on s’interroge davantage sur le contexte dans lequel une tragédie comme celle-ci a pu avoir lieu.

Q : J’aimerais savoir s’il y a un réalisateur ou un film du cinéma italien qui vous a particulièrement marqué ?

FFC : Je n’aurais pas assez de doigts, ni même d’orteils pour vous citer les réalisateurs italiens que j’admire depuis les années 1940 jusqu’à aujourd’hui ! Ils ont produit un nombre incalculable de très grands réalisateurs, mais moi, j’ai toujours beaucoup de mal à vouloir nommer un réalisateur ou encore un film. Je dirais que ce n’est pas seulement le cas de l’Italie, mais de l’Europe toute entière. Il se trouve que l’un de mes films préférés est polonais et je suis très impressionné par toutes ces œuvres qui surgissent dans toute l’Europe, mais ce n’est pas nouveau. Les plus grandes œuvres du cinéma ont peut-être été faites entre les années 1920 et ‘30 en Allemagne et cela a pu se développer sauf depuis que le cinéma a perdu sa liberté. Là, on a une preuve de voir, lorsque le cinéma est libre et peut s’exprimer, c’est un art qui, malgré sa jeunesse, donne des fruits superbes, comme on le voit encore au théâtre. Le cinéma est encore un art très jeune et pourtant dans la première partie de sa vie, il a donné lieu à des œuvres superbes. Si aujourd’hui elles sont plus rares, c’est simplement dû au fait que les rênes du cinéma sont tenues par le commerce.

Q : Question au sujet du Parrain Deuxième partie : la dernière scène est une scène de repas d’anniversaire. Pourquoi cette scène en fin de film, quel était son but ?

FFC : Cette scène s’explique par la teneur du Parrain Deuxième partie de faire alterner deux époques dans lesquelles chacun des personnages, le père et le fils, avaient trente ans. Pour moi, c’était intéressant de voir cet âge comparable entre les deux personnages, comme cela par alternance, et pour en terminer avec cette alternance, j’avais le souhait de revenir sur la période qui était plus connue pour ceux qui avaient vu le premier film, qui était la période où tous les frères et le père étaient encore vivants. La boucle se bouclait après avoir alternée les deux périodes. Mais il y a aussi une autre explication à cette scène. En fait, moi, je ne voulais absolument pas d’une suite, car le premier film se suffisait à lui-même. Mais comme le film avait eu beaucoup de succès, on m’a entraîné dans l’idée de faire un deuxième Parrain. Je me suis dit que dans ce second film, il serait amusant de trouver un moyen de faire revenir Brando. Dans ce film, c’était Robert De Niro qui jouait ce rôle. J’avais voulu le refaire venir d’une manière ou d’une autre. On arrive donc à cette scène dans laquelle le personnage annonce à sa famille qu’il va joindre les marines et donc je me suis dit qu’il fallait faire revenir Marlon Brando. J’ai contacté Brando, qui était furieux car le film avait eu un tel succès, mais il n’avait touché aucun dividende. J’avais donc à faire un deal pour faire revenir tous les disparus. Maintenant que je devais les ressusciter pour la scène finale du deuxième film, je les ai appelés et chacun – que cela soit James Caan ou Marlon Brando – ils m’ont dit ce qu’ils voulaient financièrement parlant pour participer au tournage du second film. Je devais donc leur donner ce que je pouvais pour qu’ils reviennent. Le rendez-vous était pris et moi, j’avais écrit cette dernière scène, cela devait être tourné à Los Angeles, j’habitais à San Francisco et est donc arrivé ce fameux dimanche, où l’on devait tourner. J’ai pris l’avion et je suis arrivé à Los Angeles sans être sur que les uns et les autres auraient tenu leurs engagements et seraient là pour tourner la scène. C’est au tout dernier moment, dimanche soir, que j’ai reçu un coup de fil m’annonçant que Marlon Brando ne viendrait pas. J’étais en effet embêté, car j’avais payé tout le monde pour cette scène-là, qui ne pouvait pas se tourner sans Marlon Brando, car il était la pièce maitresse de mon petit jeu final et il a fallu que comme toujours j’aie eu très peur. J’étais désespéré, je ne savais pas quoi faire et, donc, je me suis assis sur mon lit tard le soir à réécrire la scène, à inventer une nouvelle fin qu’il soit possible de tourner sans l’apparition de Marlon Brando à l’écran et m’est venu cette idée du repas d’anniversaire surprise où on l’attend. Il était la figure que l’on attend, donc on les voit chacun, un par un, annoncer sa venue et c’est le retournement de dernière minute que j’ai dû faire, parce que Brando m’avait fait faux bond.

Q : Pouvez-vous nous expliquer la raison qui vous a poussé à être réalisateur ?

FFC : J’étais un gamin assez solitaire. Je changeais trop souvent d’école pour pouvoir me faire des amis et donc après, au fur et à mesure que j’avançais dans la scolarité, on a un peu regardé ce que je savais faire : j’étais plutôt bon en sciences, j’étais bricoleur, je me débrouillais bien avec les fils électriques, puis en fac, je voyais que les filles allaient faire du théâtre, je me suis dit qu’il existe quelque part des filles donc allons voir à quoi elles ressemblent. C’est un peu par hasard qu’avec ma débrouille dans les filières techniques et beaucoup d’imagination depuis le début et avoir été un enfant toujours mis à l’écart par les autres et qui se fabriquait ce monde intérieur, que j’ai fini réalisateur, mais je n’en suis pas sûr moi-même à vrai dire.

Q : Quelle est votre relation à la littérature et quels sont les écrivains qui ont été importants pour vous ? Vous avez dit que vous auriez été écrivain, si vous n’avez pas été cinéaste. J’ai une autre question : j’étais récemment à San Francisco et il y a un petit café dans le quartier de North Beach, qui s’appelle le Vesuvio, et je crois que c’est là que vous avez écrit vos premiers scénarios. J’aimerai savoirs si cela est vrai ?

FFC : J’avais un grand frère Auguste qui était un personnage qui a vraiment transformé mon enfance, puisqu’il était très beau, très intelligent et très affectueux à mon égard. Il m’emmenait beaucoup au cinéma pour voir beaucoup de films anglais. C’est lui qui m’a fait découvrir Alexander Korda, c’est lui qui lisait beaucoup, Gide, Sartre et il me refilait ses livres. On avait cinq ans de différence, qui est la différence suffisante pour qu’il ait une influence sur moi et qu’il me prenne sous son aile. C’était un garçon tellement aimable que je ne pouvais que l’aimer et le suivre. Son inspiration était la mienne. Quand lui voulait faire quelque chose, je voulais faire la même chose. Il voulait être écrivain, donc j’ai marché sur ses pas. Cette relation très proche était plus une relation père-fils. Il me faisait lire donc ce que je sais de la littérature, c’est ce que lui a bien voulu me mettre entre les mains.

Q : Je trouve que vous êtes un génie absolu ! Quand je vois encore Apocalypse now ou la trilogie du Parrain en blu-ray, je sais que ce ne sont pas forcément vos films préférés, mais je les trouve flamboyants et magnifiques. Ma question va vous paraître farfelue, mais il y a très longtemps, dans une très lointaine galaxie, vous avez aidé un jeune réalisateur qui s’appelle George Lucas à devenir ce qu’il est devenu, vous avez produit son premier film THX 1138. J’étais curieux de savoir, alors que vous avez abordé beaucoup de genres dans votre carrière de réalisateur, si vous auriez pu toucher au « space opéra », à la science-fiction ? Y avez-vous songé à un moment ? Quel est votre Star Wars préféré ? Avez-vous hâte de découvrir toute la saga Star Wars en blu-ray ?

FFC : Mon Star Wars préféré est L’Empire contre-attaque, l’épisode 5, même s’il est difficile de leur donner un numéro. Pour ce qui est de la science-fiction, j’adore cela depuis que je suis enfant et un de mes films préférés est le Korda de 1932. Ce que je vous disais de Edgar Poe dans une certaine mesure c’est cette dimension surréaliste présente dans la science-fiction qui fait que c’est un genre qui m’est cher et auquel j’aurais pu m’adonner, mais je ne sais pas pourquoi, je ne l’ai pas fait. Il se trouve qu’il y a des modes comme cela, des passages, un genre tout d’un coup dont on s’entiche et qui tombe en désuétude. C’est le cas des westerns peut-être, que ce genre-là ne s’est pas suffisamment installé à une période où j’officiais, pour que j’en fasse moi-même, mais je ne sais pas pourquoi je n’en ai pas fait. Il se trouve qu’en ce moment, je suis occupé par d’autres projets : j’ai en tête un projet plus ambitieux. Après avoir fait trois films qui étaient un peu plus modestes, je me sens suffisamment confiant pour me lancer dans quelque chose de plus vaste. Peut-être que ce film sur lequel je travaillais depuis tant d’années est en quelque sorte apparenté à de la science-fiction, puisque c’était une utopie et donc on y travaillait avec cet esprit-là et quelque chose que cela racontait de ce lieu utopique, c’était cet idéal et ce bouillonnement propre à une dimension fantastique du monde. Je l’ai fait et on était en train de le tourner au moment du 11 septembre donc ce fut difficile dans ces circonstances-là de rester sur un projet utopique, mais finalement cela appartient vraiment au monde de H.G. Wells. C’était dans cet esprit-là que ce faisait le film. C’était un film intéressant qui existe, il a été tourné, peut-être qu’un jour je le montrerai.

Q : Après avoir réalisé une trilogie de chefs-d’œuvre, les choses ont été faciles pour vous, car les portes étaient ouvertes, ou au contraire compliquées, car vous avez mis la barre trop haute ?

FFC : Les choses n’ont jamais été faciles, les portes n’ont jamais été ouvertes pour moi. J’ai réalisé en l’espace de trois ans Le Parrain, Conversation secrète, et Le Parrain Deuxième partie. Pourtant, en ayant enchaîné ces trois films, quand je suis arrivé avec le projet d’Apocalypse now, absolument personne n’a voulu me suivre. J’ai dû moi-même hypothéquer tous mes biens, y compris mes vignes, pour arriver à financer ce film. Cela n’a jamais été simple. Les raisons pour lesquelles on ne me soutenait pas étaient que l’on disait que le Vietnam était pas un sujet qui attirerait les spectateurs. C’était en fait la première tentative de faire un film sur le Vietnam, car Voyage au bout de l’enfer est sorti certes avant, mais le tournage a commencé après le mien. Ce sont des choses qui arrivent. Il y avait comme cela un projet de western sur lequel on a travaillé pendant un an et demi. C’était un grand auteur de San Francisco à qui j’ai acheté les droits. On a travaillé dessus et en fait le projet a été tellement reporté, tellement long à aboutir que j’ai perdu les droits. C’est Clint Eastwood qui les a récupérés et a repris ce scénario-là et qui en a fait Impitoyable.

Q : Que pensez-vous du cinéma danois ?

FFC : Il se trouve que j’ai voyagé quand j’étais très jeune et que je suis allé au Danemark. J’y ai découvert de jeunes personnes qui s’étaient réunis dans une société de production qui s’appelait Lanterna et qui était extrêmement productrice. J’étais très intéressé de voir comment ils écrivaient, ils tournaient et ils montaient leurs films. Ils avaient une espèce d’enthousiasme à la tâche qui m’a beaucoup impressionné. C’est au retour de ce voyage qu’aux Etats-Unis, je me suis dit que l’on pouvait poursuivre dans cet esprit-là et que j’ai commencé le travail avec Zoetrope, qui était une sorte d’écho, une version américaine de cette entité, de leur mode d’approche du cinéma. C’était plus une version de travailler que j’ai retenu que des films, de s’engager ensemble dans une production. A l’époque, les films ne faisaient pas encore sujet de discussion, comme c’est le cas aujourd’hui, ou les réalisateurs réputés actuellement n’étaient pas encore là.

Q : Il y a un certain nombre de personnes de votre famille qui travaille dans le cinéma. Quelles relations au niveau professionnel entretenez-vous ? Comment se passent les réunions de famille ?

FFC : En fait, notre vie c’est une vie de famille ordinaire, c’est une très grande maison à Napa Valley au milieu des vignes en Californie et les enfants viennent, les portes sont ouvertes et quand on peut passer du temps ensemble, tout d’un coup, je lance l’idée de monter une pièce en un acte et on le fait, c’est comme cela que les plus jeunes sont contaminés par l’atmosphère ambiante et tout le monde y participe et nous montons cette pièce et nous la jouons et cela se fait de manière très naturelle et très spontanée dans cette vie familiale. Je crois que cela a toujours été ma façon de faire, avant même de fonder cette famille et cette maison. J’ai toujours aimé transmettre le goût du théâtre aux plus jeunes. A 17 ans, j’ai commencé à travailler, à faire de la formation théâtrale pour les enfants et qui continue encore aujourd’hui. J’aime être entouré des générations suivantes et de travailler ensemble dans notre grande maison familiale.

Q : J’aimerais savoir si l’écriture du scénario est une étape douloureuse pour vous ? Comment vous entourez-vous pour travailler ?

FFC : Je travaille toujours seul et c’est ce que j’adore dans le processus d’écriture, c’est cette solitude-là. Je suis là avec ma tasse de café, mes pensées et je peux laisser mon imagination m’envahir et les mots venir à moi et je les laisse vraiment venir très librement. Je tiens à ne pas juger ce que j’écris et je crois que c’est ce qui empêche de jeunes auteurs à trouver leur inspiration, car ils jugent immédiatement, condamnent ce qu’ils écrivent et cette sévérité envers sa propre pollution peut vous inhiber complètement. Moi, je laisse venir les choses. Je les écris sans les juger, je les laisse se reposer et je les reprends. Je fais beaucoup de réécritures et c’est après beaucoup de reprises qu’un texte se constitue, commence à exister et là vous pouvez le regarder sous un jour nouveau. Vous pouvez vraiment l’évaluer et savoir ce qu’il peut devenir, mais il faut le laisser vivre. Je prends beaucoup de plaisir à cela, à m’asseoir seul à ma table et laisser venir l’histoire et c’est d’ailleurs ce que je vais faire cette semaine.