Conference-de-Presse - Bringing up Bobby

Par Mulder, Deauville, 05 septembre 2011

Famke Janssen Q : Il y a dans la première partie de votre film, même si votre personnage principal n’a pas une conscience politique très développée, une charge subversive sur la société américaine qui est assez forte, puis dans la deuxième partie du film, lorsqu’il s’agit pour elle d’intégrer son fils à cette société, ce regard disparaît et le film lui-même présente une image de l’Amérique d’autant plus convenue, disons avec en particulier ce personnage de la policière comme on le retrouve au dénouement. J’aimerais donc savoir si pour s’insérer dans la société américaine, il faut abandonner son esprit critique ?

Famke Janssen : Ce que je voulais dire à propos de ce personnage si tant est qu’il y a une dimension politique, c’est que dans toute la première partie du film, ce qu’elle sait des Etats-Unis, c’est une simple image : elle connaît ce pays à travers les films, elle vit elle-même une vie de films, ce personnage de bandit qui peut s’apparenter à celui de Bonnie et Clyde. Elle se contente de cette vie, qui est un peu factice et c’est seulement dans la deuxième partie que la réalité la rattrape et cela la confronte aux Etats-Unis tel que ce pays existe véritablement. Dans cette deuxième partie, elle doit s’adapter à la réalité et ce qui se dégage est que la seule valeur dans sa vie devient son fils. Elle doit donc faire un choix. Prise dans une situation assez paradoxale, où elle doit faire un choix entre son bonheur et la réalité dans laquelle elle veut trouver une place pour son fils, l’enjeu du film est là. Je n’ai pas eu l’intention de dire qu’il ne faut pas avoir de vision critique quand on veut trouver une place aux Etats-Unis. J’ai voulu dire que ce personnage-là, à l’instar de moi-même dans la vie, s’adapte à une réalité et qu’elle ne peut plus vivre avec des images toutes faites. Moi-même, je vis aux Etats-Unis depuis plus de vingt ans, je suis née en Hollande, j’y ai passé mon enfance et maintenant je me rends compte que l’idée que je me faisais des Etats-Unis à travers des films que j’ai pu voir ou des émissions de télévision, des informations que j’ai pu avoir étaient des idées préconçues, qui n’avaient pas grand-chose à voir avec la réalité que j’ai du me coltiner. C’est cela que j’ai voulu montrer dans mon film dans une certaine mesure avec le personnage principal.

Q : J’aimerais savoir en tant que deuxième James Bond girl qui passe à la réalisation, après Sophie Marceau, car on dit souvent que les James Bond girls sont jolies mais sans aucune autre valeur ajoutée, est-ce que le fait d’avoir tourné Goldeneye a eu une influence négative ou positive sur votre carrière ?

Janssen : Il faut croire que toute ma vie a été organisée de cette façon-là, comme une lutte permanente contre les clichés et les stéréotypes. Finalement, je n’ai rien fait comme les choses étaient censées se passer. J’ai d’abord commencé à être mannequin. Les mannequins aussi ont une réputation d’être de jolies idiotes. Je suis devenue actrice, alors que j’étais pourtant trop grande. Il y a presque aucun acteur assez grand pour jouer avec moi, sauf les quelques rares que j’ai eu la chance de rencontrer dans ma carrière. Et maintenant je passe à la réalisation et à chaque fois, j’ai ainsi pris le contre-pied des attentes et des idées reçues et je me suis dit finalement que ça a été cela, ma trajectoire dans la vie, cela a été d’aller à l’encontre de ce que l’on attend de moi, ce que l’on peut croire de moi, et finalement prouver à moi-même d’abord par ces défis, puis aux autres, que je peux m’améliorer et aller au-delà des attentes et des clichés. Si je commence à vous convaincre que je ne corresponds pas à l’image préalable que vous aviez des mannequins, des James Bond girls ou encore des actrices, c’est déjà un bon début.

Q : Vous avez élaboré ce film depuis le départ et notamment l’écriture. J’aimerais donc savoir quelle a été la première démarche qui vous est arrivée à l’esprit pour écrire ce film et quelles thématiques avez-vous voulu élaborer dans ce film ?

Janssen : Je crois d’abord que la toute première idée qui a donné lieu à ce développement, à ce scénario, cela a été précisément celle de l’arrivée d’une étrangère comme moi, qui avait grandi en Hollande et qui est arrivée aux Etats-Unis et qui est venue dans ce pays pour découvrir le rêve américain. Je crois que tous les étrangers, quand ils viennent, c’est pour vivre ce rêve américain. J’ai fait moi-même l’expérience de l’Amérique, quand je suis arrivée à New York depuis la Hollande et que j’y ai vécu pendant vingt ans, je me suis dit que maintenant je comprends ce que c’est réellement les Etats-Unis. Puis un jour, puisque mon copain est de l’Oklahoma, j’ai décidé de m’y rendre et je me suis rendu compte que c’était encore un tout autre univers auquel je devais m’adapter et que je devais appréhender. L’idée nous est venue comme cela. Mon petit ami et moi étions en vacances à Paris et en discutant entre nous de cette confrontation entre les images préconçues et que l’on avait une culture de la réalité et que l’on baigne dans cette idée de terre d’accueil, cela a donné l’idée de ce film et je dois dire que moi-même je n’ai pas échappé à un certain nombre de clichés de ce type. La première fois que je suis allée à New York, j’étais restée dans mon hôtel et je n’osais pas en sortir, parce que j’avais peur que tout ce que j’avais vu dans les films, cette violence dont on nous abreuve dans les films, j’en avais peur d’en être une victime. Dès que je croisais quelqu’un et qui passait sa main à la poche, j’avais peur qu’il me tire dessus et j’ai peut-être l’air naïve en disant cela et vous allez dire que je viens d’un petit pays qui est la Hollande, mais finalement cela n’est pas cela. Cela montre plutôt le pouvoir extrême du cinéma et des médias qui forment nos esprits. C’est l’enjeu de ce pouvoir qui m’a donné l’idée de ce scénario.

Q : J’aimerais que vous nous parliez de ce projet. Comment passe-t-on de grandes productions comme la quadrilogie X-men, voire James Bond, à la réalisation ? Est-ce que toutes ces grosses productions vous ont aidé à l’élaboration de votre premier film ? Famke Janssen

Janssen : J’ai eu la chance en fait de participer à des films très contrastés. A ce titre-là, vous citez les grandes productions hollywoodiennes dans lesquelles j’ai pu jouer, mais j’ai aussi joué deux fois plus dans de petits films, dont l’échelle économique est assez comparable à celle du film que j’ai réalisé moi-même. Justement, cette double vision m’a été extrêmement utile quand il s’agit pour moi de mon propre film, de passer à la réalisation. Pour la question financière, je me suis rendue compte qu’il n’y avait jamais assez d’argent. Sur les X-men, on avait l’impression que nous manquions d’argent et j’en ai fait l’expérience personnelle et parfois douloureuse pendant que l’on tournait ce film, c’est qu’à chaque fois on se disait que l’on aurait eu un peu plus de marge pour les choix que nous faisions au fur et à mesure que l’on tournait, mais je pense que cela a été très utile de voir que cela ne changeait pas autant que cela. Cela n’était pas l’échelle qui changeait, mais plutôt le métier, la fabrication d’un film et pour cela j’ai été à la meilleure école qui soit : j’ai passé dix-huit ans à pouvoir observer tous les postes de la réalisation d’un film, de jouer en tant qu’actrice, mais j’étais aussi très bien placée pour observer la façon dont travaillaient les réalisateurs, les chefs opérateurs, les costumières ou encore les décorateurs. Ce fut ainsi la meilleure façon pour moi de plonger dans ce métier.

Q : J’aimerais vous poser une question sur les lieux du tournage. C’est vrai que chaque lieu a l’air important. Avez-vous mis beaucoup de temps pour les trouver ?

Janssen : En effet, j’avais dès le départ une idée très précise de l’endroit où je voulais tourner. Je m’étais rendue dans l’Oklahoma pour rencontrer la famille de mon petit ami et c’est eux que j’ai mis à contribution pour faire tout le travail de repérage préalable, notamment ma belle-mère ici présente a joué un rôle fondamental, car il faut savoir que dans le meilleur des cas, la période qui vous est allouée pour la pré-production est trois semaines, maximum six semaines, et jamais je n’aurais eu le temps de faire un travail de fond comme elle l’a fait sur place pour moi. Quand je me suis rendue dans l’Oklahoma un an avant de commencer à tourner, pour avoir une idée plus ciblée des types de lieux et de décors qui m’intéressaient et après c’est elle qui est passée à l’attaque et qui est allée rencontrer les voisins, commencé à devenir copine avec la police, les pompiers, donc à faire tout le travail au préalable pour permettre au moment du tournage de n’avoir plus de temps à consacrer à ces questions très importantes.

Q : Pouvez-vous aussi nous expliquer le choix de Milla Jovovich comme actrice principale ? Je pense qu’il n’est pas anodin, car on la voit dans un rôle complètement différent de ce qu’elle a l’habitude de faire.

Janssen : Cela est aussi quelque chose que j’ai appris, c’est à quel point c’est une phase délicate quand vous êtes en train d’essayer de rassembler les fonds pour un film, votre scénario est écrit, vous cherchez des financements et dans le même temps, il faut que vous trouviez vos acteurs principaux. C’est vraiment très compliqué, car souvent les acteurs ne lisent pas les scénarios tant que le financement n’est pas fait, et les financiers de leur côté veulent savoir à quels acteurs vous pensez. C’est une phase assez compliquée. Pour ma part, j’ai eu beaucoup de chance, c'est-à-dire que le scénario a été adressé à l’agent de Milla, elle l’a lu et a donné immédiatement un réaction extrêmement positive et a accepté de participer au projet. Cela a été une grande chance. Très vite, on s’est rencontré, on a parlé du rôle et elle a dit qu’elle y adhérait pleinement et avait envie de participer à l’aventure avec nous. Le seul bémol, c’est qu’elle n’avait qu’une seule disponibilité dans toute l’année : c’était le mois d’août et il faut savoir qu’au mois d’août il fait chaud à crever dans l’Oklahoma, il fait quarante degrés en moyenne. On a failli tous y rester et les acteurs faisaient des malaises. On n’avait pas assez d’argent pour avoir la climatisation en permanence. Cela a été une épreuve, mais à part cela, cela a été le meilleur choix possible.

Q : Pouvons-nous voir dans le choix de Milla le choix d’un petit coup de main entre mannequins ?

Janssen : Peut-être dans mon subconscient.

Q : J’aimerais savoir quelles ont été les difficultés rencontrées en tant que productrice de votre propre projet, d’autant qu’il s’agit d’un film qui est personnel ? Par ailleurs, le fait que vous soyez connue dans le métier, que vous n’arrivez pas comme une inconnue, est-ce que vous avez eu des frustrations en qualité de productrice avec votre projet ?

Janssen : J’ai eu en effet beaucoup de frustrations. Cela a été très compliqué, car dans une certaine mesure le fait que votre nom soit connu peut vous aider à ouvrir certaines portes, mais après, le plus gros reste à faire. Un premier film est un premier film et ce n’est pas parce que vous avez écrit un scénario que vous vous le mettez sous le bras pour aller frapper à toutes les portes que vous pouvez prouver que vous savez réaliser. Il faut aussi convaincre de cette compétence-là et quand j’essayais de recueillir des fonds aussi bien aux Etats-Unis que dans les pays européens, l’idée que j’ai eu fut de préparer un livre qui soit une sorte d’album de photos d’étrangers des Etats-Unis, qui photographient ces terres notamment Robert Franck m’a beaucoup inspiré pour cela. Avec cette démarche-là et en tâtonnant, j’ai pu tomber finalement sur une personne qui se trouve être là au dernier rang, dont j’ai gagné la confiance et qui était le premier à croire en mon histoire. Une société anglaise a ensuite pris en charge une partie de la production et les ventes internationales. A partir du moment où une personne croit en vous et en votre histoire, cela aide à trouver d’autres partenaires et c’est comme cela que petit à petit on a réussi à recueillir tous les fonds nécessaires. Je dois dire moi-même j’avais ramé pendant trois ans et la personne qui m’a permis de boucler toute la production, de mettre le film sur pied, cela a été ma co-productrice, car sans elle je n’aurais pas été capable de faire ce film.

Q : J’aimerais savoir si vous n’avez pas pensé à faire des économies pour ce projet en interprétant vous-mêmes le rôle principal ? Il y a un moment très fort dans ce film qui concerne l’adoption temporaire de l’enfant. Comment avez-vous construit les relations entre l’enfant et le couple fortuné ?

Janssen : Je ne pouvais pas avoir le temps et le courage d’être derrière et devant la caméra. Pour moi, c’était très important que ce couple incarne vraiment une espèce de colonne vertébrale de l’Oklahoma et que cela soit très différent de l’image qu’Olive s’était faite avec ses clichés, ses idées préconçues. Elle avait un regard sur l’Oklahoma qui était complètement transformé par la rencontre avec ce couple. C’était important pour moi que cela soient des gens foncièrement bons, stables et qu’ils incarnent quelque chose de ce but à atteindre dans la quête du personnage de Milla et notamment sur la personne de son fils. Pour elle aussi, la dimension matérielle n’était pas anodine. Pour elle, l’idée du rêve américain correspondait à ce rêve de faire fortune. Ce couple incarne pour elle cette aisance matérielle là.

Q : Le fait que vous soyez passé derrière la caméra est-il en rapport avec le fait que l’une de vos sœurs soit aussi réalisatrice ?

Janssen : Non, comme mes sœurs, nous avons toutes les trois évoluées dans ce métier, mais de manière parallèle. En démarrant en même temps, ma petite sœur était actrice au même moment que moi, on jouait toutes les deux, elle est maintenant devenue auteur et remporte beaucoup de succès avec ce qu’elle écrit. Ma grande sœur était réalisatrice et au début réalisait de la publicité et ensuite des films, elle en est à son troisième. Je suis aussi passée du statut d’actrice à celui de réalisatrice. Il a bien sûr, comme dans toutes les familles, une influence en commun. Je n’ai pas voulu imiter ma sœur en passant derrière la caméra, mais plus d’élargir mon horizon et de m’améliorer, de grandir et je crois aussi qu’il y a une question qui se pose, qui est celle de la longévité pour moi en tant que femme dans ce métier. Il faut trouver une autre solution que la chirurgie esthétique pour pouvoir continuer de survivre dans ce milieu. Pour moi, l’écriture et la réalisation en est une très belle.

Q : Comment allez-vous choisir vos rôles alors que maintenant vous avez réalisé ?

Janssen : Bonne question ! J’ai récemment fait un film qui s’appelle Hansel and Gretel whitch hunter et dans ce film je joue une sorcière et je devais tous les matins passer des heures au maquillage et supporter des prothèses que l’on me collait sur la figure. Pendant que j’endurais cette épreuve, je me demandais si j’avais bien raison de choisir des rôles comme celui-ci. Je serai plus attentive désormais dans mes choix. Je vais jouer prochainement aux côtés de Liam Neeson de nouveau dans Taken 2 pour EuropaCorp. Enfin, j’écris en ce moment un scénario qui fera l’objet d’une co-production entre les Etats-Unis, la France et l’Espagne.