Conference-de-Presse - Compliance

Par Mulder, Deauville, 07 septembre 2012

Craig Zobel Q : Je pense que ce film devrait être nécessaire et devrait être montré à tout le monde. On a eu une grande discussion entre collègues, il y a déjà beaucoup de choses comme des livres sur le sujet, mais c’est vrai que l’être humain est toujours, quand il s’agit de l’ordre, soumis. Vous ne pensiez pas faire un film un jour dessus, c’est choquant, mais ce sont des choses qui arrivent. Il faut le dire et redire, c’est pour cela que votre film a pour moi un très grand intérêt. J’aurais une question à vous poser par rapport à tout cela : avez-vous suivi pour ce film l’investigation de la police ? Comment vous êtes-vous renseigné pour aller un petit peu plus loin dans la psychologie de tous ces personnages ?

Craig Zobel : Tout d’abord merci pour ce que vous avez dit, c’est vrai que pour moi, c’est un sujet qui est important. Il y a eu beaucoup d’articles de journaux télévisés sur ce genre d’histoire, pas forcément sur cette histoire, mais ce genre d’histoires. Il y a eu beaucoup de choses qui se sont passées. Lorsque j’ai commencé à travailler sur le scénario, vers 2009, 2010, c’est l’époque où j’ai décidé de faire un film. Beaucoup de choses se sont passées depuis. Dès le moment où j’ai décidé à commencer à travailler sur le film, il y a eu énormément d’autres cas à peu près similaires, qui se sont passés aux Etats-Unis. Il y a eu énormément d’articles et de choses écrites. Je suis donc allé à la pêche dans tous ces articles et cela a été la première étape. La deuxième étape fut celle pendant laquelle je me suis renseigné sur les décisions de justice, qui ont eu lieu dans la plupart de ces affaires. Savoir ce que la justice avait décidé a été un élément important pour moi concernant ma recherche scénaristique. Puis vint une phase sur la structure du récit à mettre en place. Tout s’est fait de manière assez fluide. En tant que réalisateur et scénariste, j’ai essayé de me mettre dans un état d’empathie par rapport à tous ces personnages, de façon à comprendre ce qui a pu se passer dans les têtes de ces personnes. Savoir comment elles ont fait pour aller d’une situation donnée à la situation telle que celle que on a pu avoir dans le film. Il y a beaucoup d’éléments qui se répètent dans la plupart des cas similaires, qui sont arrivés depuis lors aux Etats-Unis. Il y a toujours cette police qui appelle, toujours une employée féminine. J’ai essayé de retirer tout cela pour faire une histoire qui englobe un peu comme cela des éléments de chaque fait réel, qui se sont passés aux Etats-Unis.

Q : C’est un thème qui m’intéresse particulièrement. J’ai écrit aussi des articles avec des mêmes mécanismes psychologiques en jeu avec des n-1 qui sont pris par le système. Contrairement à mon collègue, est-ce que le traitement ne nuit pas au message ? Est-ce qu’un court-métrage n’aurait pas été plus puissant ?

Zobel : La raison pour laquelle j’ai donné cette forme au film, que j’ai essayé de faire un long-métrage avec cette histoire qui m’intéresse et non un documentaire, c’est parce qu’il y a eu beaucoup de documentaires qui parlaient de ce genre de chose. Pourquoi je n’en ai pas fait un court-métrage, c’est parce qu’il était intéressant, selon moi, de développer autour du thème. Si j’avais fait une histoire plus courte, par exemple d’une vingtaine de minutes, je pense que le discours, la réflexion autour de ce qui se passe aurait été un peu trop noir ou blanc, il n’y aurait pas eu de nuances de gris. On aurait uniquement donné les informations sur ce qui s’est passé. On n’aurait pas essayé de développer par exemple les personnages secondaires, qui sont très intéressants comme le personnage de Kevin. On n’aurait pas développé la réflexion. On n’aurait pas réfléchi. Je voulais vraiment essayer de faire réfléchir. C’est la raison pour laquelle le film est peut-être un peu plus long que ce que j’imaginais au départ.

Lisa Muskat Q : Ann, quelle a été votre réaction quand vous avez lu le scénario ? Avez-vous été fâchée contre votre personnage ? En lui avez-vous voulu ?

Ann Dowd : Ma réaction initiale a été de la honte. Je me suis sentie honteuse au fond de moi par rapport à ce personnage. Je me rappelle notamment qu’on m’a déjà posé cette question auparavant et que la première fois quand on me l’a posé, je me rends compte que je n’ai pas dit la vérité. Aujourd’hui, je peux vous le dire, j’ai ressenti de la honte. Ma seconde réaction est que je me suis rendu compte que le scénario était très bien écrit, ce qui pour un acteur est toujours une très bonne nouvelle, et je me suis dit que j’avais vraiment envie de jouer dans ce film, envie de jouer ce personnage. Toutes ces situations et la manière dont a été décrit ce personnage furent à mes yeux très crédibles. Depuis la première lecture, dès que j’ai lu le scénario, je me suis dit que c’était très bien écrit et très crédible. Petit à petit, je me suis mis à aimer ce personnage, à avoir de la sympathie pour ce personnage, ce qui était important pour moi.

Q : Par rapport à l’apparition du manipulateur, vous êtes-vous posé la question de savoir si vous alliez le faire apparaître ou non ? Au bout d’un certain moment, on commence à se douter, même si on n’a pas lu le scénario. Est-ce important pour vous de montrer ce personnage ?

Zobel : Jusqu’à la fin du tournage en fait, je vous avoue que je me posais la question moi-même de savoir si on devait dire exactement qui c’est. Pour pas mal de raisons, la première, car bien souvent dans ce genre de films, et dans ce cas précis, le public a toujours quelques longueurs d’avance. Le public se doute qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Il se dit que le policier n’est pas exactement un policier. Bref, le public se pose des questions. Quelque part, toutes ces questions que le public se pose, ces suspicions que l’on crée dans l’esprit du public, cela crée une espèce d’excitations. On aime voir le film, car on aime se demander ce qui va se passer ensuite. C’était intéressant pour accrocher les gens à l’histoire. En même temps, je me suis dit qu’il fallait bien dire à un moment donné qui était cette personne. Pour savoir comment arriver à cette révélation, ce fut un petit peu plus compliqué en termes de scénario. Dès le départ, j’avais quelque chose en tête, que c’était quelqu’un issu d’une classe moyenne, etc. Pour répondre à votre question, au départ, je ne savais pas moi-même.

Q : J’ai aussi une question pour Ann, c'est-à-dire de savoir comment on se prépare pour un tel rôle ?

Dowd : En fait, la première chose que j’ai faite, c’est d’essayer de mettre un nom sur tous les actes, de décrire à moi-même tous les actes que cette femme, ce personnage effectue. J 'ai essayé de la comprendre et surtout de ne pas lui porter un jugement sur ce qu’elle fait, en tout cas pendant la période de préparation. Pour ainsi moi-même savoir pour quelle raison je continue à aller de l’avant, mais une seule chose à la fois. Pour ce faire, je me suis beaucoup appuyé sur ma propre expérience, sur ma propre histoire. Je viens d’une famille qui est une famille très, très aimante. Je porte beaucoup d’amour à ma famille. Mais ma famille est aussi une famille très religieuse. C’est une famille dans laquelle la religion a toujours eu une place prépondérante et dans l’éducation en elle-même. Je n’ai pas été élevée avec une ambition de poser des questions aux adultes, de remettre en question les décisions des adultes, de leur demander pour quelles raisons on fait ceci et cela. Non, je n’ai pas été élevée comme cela. Cela m’a pris beaucoup de temps pour me trouver moi-même. Cela a mis du temps et cela n’a pas été simple. J’ai repensé à tout cela et je me suis replongée dans tout cela lorsque je me suis préparée pour le rôle. Cela n’a pas toujours été facile de revenir à cette période et de me replonger dans cet état d’esprit. Cela n’a pas toujour été un plaisir évident.

Q : D’après ce que j’ai vu dans votre film, il y a encore soixante-dix cas qui ont été relevé. S’agit-il du même auteur ? Est-ce qu’à chaque fois, c’est allé aussi loin dans la démarche, dans l’horreur ? Cela m’a aussi surpris de voir quelqu’un qui accepter de faire tout ce qu’on lui demande, car tout ce que fait l’héroïne, elle accepte de le faire, d’être déshabillée, frappée de peur de la police. Est-ce que cette peur de la police est quelque chose de très fort aux Etats-Unis, même pour quelqu’un qui n’a rien à se reprocher ? Ann Dowd

Zobel : Il y a eu soixante-dix cas effectivement qui se sont déroulés sur trente-cinq états des Etats-Unis sur une période de dix ans de 1994 à 2004. En 2004 a eu lieu la dernière de ces situations. Mais il y a rien eu de particulier pour comprendre que c’était la dernière. Le cas que l’on décrit dans le film est assez proche dans ce qui s’est passé de ce dernier cas dans le temps. Depuis cette dernière affaire en 2004, rien ne s’est passé. Mais c’est vrai qu’à un moment donné, ils ont réussi à attraper quelqu’un et cette personne avait des cartes d’appel téléphoniques et quand la police a analysé ces cartes, et que sa maison a été fouillée, on a encore retrouvé d’autres cartes téléphoniques. Celles-ci avaient d’autres liens avec d’autres cas, d’autres situations. De la même manière, on a retrouvé pas mal d’éléments autour du monde de la police. On a pu penser qu’on avait quelqu’un, mais lors du procès on s’est rendu compte qu’il n’y avait aucune preuve du tout de recevable. La personne en question a été remise en liberté. C’est le plus proche qu’on a pu aller pour essayer d’attraper l’auteur de ce qui s’est passé. Ensuite, par rapport à ce que vous demandiez, est-ce que cela peut toujours aller aussi loin dans l’horreur ? En fait, ce n’est pas là la question, mais plutôt de savoir si cela pouvait aller aussi loin dans le bizarre. Il y avait parfois des choses bizarres et étranges. Je me rappelle de ce cas où un officier de police est allé voir une jeune femme dans un fast food et lui a dit qu’il y avait un agresseur, un maniaque qui se trouvait en ce moment même dans la salle, où tous les clients étaient en train de dîner et lui a dit qu’il y avait aussi un officier de police qui était habillé comme si c’était un client. Il lui a proposé de retirer tous ses vêtements et l’agresseur lui sauterait dessus et l’officier de police l’attraperait. C’est le genre de chose qui est également arrivée. Par rapport au fait que ce personnage accepte autant de choses, il y a tout d’abord le choc, lorsqu’on est soi-même projeté dans ce genre de situation, on se trouve en état de choc et dans cet état on ne réfléchit pas forcément, immédiatement, par rapport à ce que l’on est amené à faire. Cet état de choc est très important. Dans le film, il y a aussi un élément qui est très important, c’est que cette jeune serveuse a peur de l’autorité, de tenir des choses. Cette peur fait que lorsque on est face à une personne qui représente l’autorité, on ne réfléchit pas plus avant. Ce choc lui fait faire ce qu’elle fait. C’est mon interprétation à moi. C’est ce que je pense en tout cas.

Q : Comment avez-vous pu trouver un producteur pour produire ce film ?

Lisa Muskat : Je connais Craig depuis assez longtemps, notamment depuis son film qui s’appelait George Washington et qui était présenté d’ailleurs déjà au festival de Deauville, il y a quelques années. Son premier film était déjà un bon film et je l’ai suivi de loin. Je ne l’avais pas produit à l’époque. Un jour, il m’a appelé et proposé de produire son prochain film. J’ai tout de suite répondu que bien sûr. Lorsqu’on s’est rencontré, je ne me rappelle pas des détails exacts de ce qu’il a dit à ce moment-là, mais je me rappelle de l’histoire et celle qu’il m’a raconté, j’y ai tout de suite accroché. Je l’ai trouvé très intéressante car il y avait un sujet social pour commencer, une dimension sociale. Le sujet était très fort. Il y avait un vrai challenge en termes cinématographiques. Cela m’a beaucoup intéressé parce que c’est une histoire qui est complètement incroyable et le challenge en tant que réalisateur est d’en faire une histoire crédible en seulement une heure et demie avec tous les éléments d’un thriller que l’on peut imaginer. Par exemple, quand on lit le livre de Truffaut sur Hitchcock, on apprend toutes ces choses, on se rend compte qu’il a bien étudié cela aussi. On retrouve tout cela dans son film. Film dans lequel, on sait ce qui va se passer et même en sachant cela, on est quand même pris par le thriller. Pour moi, c’est quelque chose qui m’a beaucoup intéressé. Lorsqu’on a fait voir le film au festival de Sundance, il y a peu de personnes qui se rappelaient du thème de l’histoire. Au fur et à mesure qu’on fait voir le film, il y a de plus en plus de gens qui sont au courant de la véritable histoire et même en sachant, il y a toujours tous ces éléments de thriller, de suspense qui reviennent et je pense que c’est un travail vraiment extraordinaire. En tant que productrice, trouver des fonds pour soutenir un film comme cela, pour moi, il y a aucun problème. Que je connaisse ou pas Craig, quand on a un sujet comme celui-ci, il est important de le produire.