Conference-de-Presse - Harvey Keitel

Par Mulder, Deauville, 01 septembre 2012

Harvey Keitel Q : Vous avez une carrière magnifique et des choix très différents dans les rôles. Je voudrais savoir ce qui véhicule vos choix ?

Harvey Keitel : Vous savez aussi bien que moi que chaque jour quand on se réveille, on a toujours face à soi un nouveau défi, toujours besoin d’en apprendre plus et ce n’est pas très différent pour un acteur. Il y a toujours cette belle soif qui me guide et qui motive mes choix et peut-être en dehors de cela un démon qui peut me motiver à accepter certains projets pour ce besoin de gagner sa vie. Mais les démons aussi ont des ventres à nourrir.

Q : Concernant les jeunes talents (Martin Scorsese, Ridley Scott, Quentin Tarantino) avec lesquels vous avez travaillé le plus volontiers ?

Keitel : Pour des studios hollywoodiens, la réponse est très gratifiante de travailler avec des talents, qu’il soit jeune ou pas, et il se trouve que j’ai eu la chance à l’époque où moi-même j’étais jeune et frais dans le métier, d’avoir beaucoup de premiers, de gens qui venaient me voir pour leur premier film, mais bien sûr c’est surtout une question de rencontres. Vous ne savez pas sur qui vous tombez au fur et à mesure et moi, j’ai eu la chance de tomber sur les bonnes personnes et j’ai eu aussi la chance de bénéficier de l’enseignement de grands noms, tels que Elia Kazan, qui, eux, ont su m’apporter ce qui a fait la spécialité de mon travail. Pour compléter ma réponse aux questions posées, concernant la question de la motivation, je dois vous dire que lorsque j’étais un enfant à Brooklyn et que je voyais des films, au fond j’avais l’impression de me retrouver face à des auteurs, des réalisateurs et des actrices et me demander, mais comment moi je peux faire cela. Non pas tant qu’il s’agisse de faire la même chose, mais il s’agissait plutôt pour moi de comprendre comment eux, ils étaient dans un univers qui ne m’était pas accessible, comment je pouvais moi avoir accès à cet univers-là. Petit à petit, il m’a fallu comprendre cela et cela s’est fait à travers des rencontres avec des personnes dont j’ai pu côtoyer le travail, non seulement aux Etats-Unis mais aussi en Europe. Ce sont des personnes comme Robert Bresson, Eliah Kazan ou encore Federico Fellini qui m’ont donné ce courage d’affronter la distance qui me séparait de leur univers pour faire partie du leur. C’est ainsi qu’un jour, j’ai décidé à traverser le pont de Brooklyn et de me rendre à New York et ensuite d’accéder à l’actor’s studio, afin de frapper à ces portes et qu’elles puissent s’ouvrir.

Q : J’aimerais savoir pour continuer sur le côté européen et américain au niveau du travail, quelles sont les différences essentielles que vous avez pu rencontrer en venant en Europe travailler avec ces réalisateurs européens ? Avez-vous travaillé différemment ou non ? Est-ce que le défi de la langue a été pour vous un défi supplémentaire ?

Keitel : C’est une question que l’on me pose souvent. Pendant ces deux premières questions, j’étais en train de réfléchir face à vous et je me disais finalement qu’il n’y a qu’une question, non pas que je veuille échapper aux autres que l’on peut poser dans ce type de conférence : c’est de savoir ce qui vous motive et ce qui nous fait courir et avancer. Je pense que c’est toujours la même chose. C’est sans doute comme cela que je me suis retrouvé en Europe. Le premier réalisateur européen qui est venu vers moi, c’est Bertrand Tavernier. A l’époque, j’étais un jeune acteur et je me souviens en tant que spectateur d’avoir vu le film « L’Horloger de St-Paul » et m’être dit, voilà le type de réalisateur avec lequel j’aimerais travailler. Cette façon d’aborder une histoire, c’est ce qu’il me faut et il ne s’est pas passé un mois et j’ai appris que lui était en train de me chercher, car il souhaitait travailler avec moi. Il m’avait vu dans un des premiers films que j’avais faits. C’est comme cela que nos chemins se sont rencontrés et que j’ai pu entrer dans son univers à lui. Cela s’est passé avec d’autres réalisateurs européens, comme Ettore Scola. Il ne faut pas non plus que j’oublie de citer Theo Angelopoulos, qui a disparu dans cet accident terrible. A chaque fois, c’était des hommes nouveaux, des langues différentes. Finalement, on était là pour la même chose : ce besoin immense d’apprendre et de comprendre. Je crois qu’eux tous étaient conduits par ce désir-là et c’est comme cela que nos chemins se sont rencontrés. Je n’ai pas d’autres réponses à vous donner. On est tous là pour la même histoire. Cela peut après se décliner dans une multiplicité d’histoires, mais je crois qu’au fond, c’est toujours la même.

Q : Vous avez joué dans beaucoup de films, pas mal de rôles, à l’heure actuelle. Y a-t-il un rôle que l’on ne vous a pas encore proposé, mais que vous accepteriez sans hésitation ?

Keitel : A ne pas douter, ce rôle existe. Il est même quelque part, peut-être dans vos imaginaires, dans vos tiroirs à vous, je sais qu’il est là et qu’il m’attend et je l’attends et avec le temps on se rencontrera. Peut-être un rôle, je peux penser dans cet esprit-là. C’est celui que m’a offert Theo Angelopoulos dans « Le Regard d’Ulysse ». A l’époque, cela a vraiment été le grand cheminement de ma vie, pas seulement de ma carrière, mais de ma vie d’homme, de faire ce travail avec lui. Cela a été un voyage physique, nous avons voyagé dans les Balkans, mais j’ai été vraiment emporté avec lui dans ce désir extrêmement grand qu’il avait d’apprendre, de comprendre et d’être vraiment au cœur du tumulte de l’existence. Il m’a emporté avec lui dans cette quête-là. Alors oui, y a-t-il une différence entre des gens comme Jean Renoir, Robert Bresson, Jane Campion, Theo Angelopoulos, Martin Scorsese, Quentin Tarantino, et Abel Ferrara ? Oui, certainement que ces personnes sont diverses, mais je crois qu’ils ont une communauté aussi. Cette communauté pour moi tient à l’existence. Cela tient à l’essence du mystère de l’existence et ce sont des personnes qui, inlassablement, se consacrent à la recherche de cette essence-là. Ils ne se lassent pas de cette recherche et ils ne s’en lasseront pas. Je crois que j’ai simplement eu la chance de rencontrer des êtres comme ceux-là.

Q : Quel est votre regard sur l’évolution du cinéma ou de l’industrie du cinéma que vous avez pu constater au cours de votre carrière ?

Keitel : Je suis contre l’évolution (en plaisantant). Je n’ai même pas envie de dire ce que j’en pense. L’évolution est là pour rester. Je crois que c’est cette expérience, cette image d’expérience que l’on a d’évoluer qui nous pousse tous à agir. Je n’ai rien à en penser que les choses changent. Je ne suis pas vraiment un historien de l’art, mais j’ai quand même vu des images de l’homme préhistorique et j’ai l’impression que tel que je vous voie vous êtes très différents. Je ne sais pas si je m’en sors, mais j’essaye de répondre.

Q : Vu que vous avez fait l’actor’s studio, est-ce que lorsque vous abordez un rôle actuellement, vous réadaptez votre jeu par rapport à ce que vous y avez appris ? Est-ce toujours d’actualité, tout ce que vous avez appris par rapport à votre manière d’aborder un tournage ?

Keitel : Oui, c’est là en moi, je n’ai pas besoin d’y retourner, mais je ne peux pas non plus m’en départir. Cela fait partie de mon travail. Il n’y a jamais de répétition. Les choses ne sont jamais exactement les mêmes. Peu importe le nombre de prises, il y a toujours quelque chose qui change. Peu importe le nombre de fois que vous montez sur une scène, ce n’est jamais la même chose qui se reproduit. C’est toujours de la création. Il est toujours question d’un devenir et d’un moment qui transforme vous et moi. A cet instant-là, je ne sais pas quels seront mes prochains mots. C’est bien comme cela que cela doit être. Ce n’est jamais ce qui survient ou sur le point de survenir et moi j’essaye de m’habituer, de m’adapter à la question de ne pas savoir, d’accepter le fait que je ne sais pas, et de vivre avec cet état-là.

Q : A travers tous ces rôles, tous ces personnages, vous avez appris plus sur vous-mêmes et sur vos contemporains ?

Keitel : C’était notre professeur de théatre, Stella Adler, qui disait une phrase dont je me souviens encore qui était que la formation de l’acteur est l’analyse du texte, donc évidemment qu’il y a quelque chose à apprendre, car si nous n’apprenions rien, je ne sais pas pourquoi on ferait du cinéma, du théâtre, de l’art, pourquoi on vivrait. Il ne s’agit pas seulement d’art. La chose qui fait le sel de la vie, qu’elle mérite d’être vécue est le fait de ne pas savoir ce qui vous attend à l’instant d’après. Je me lève aujourd’hui, je traverse la rue et qu’est-ce qui m’attend et qu’est-ce que je vais apprendre ? C’est cela qui fait que nous continuons et je n’ai qu’à réfléchir à ma relation avec mon fils de huit ans que je sais qu’au cours de ces huit ans d’existence, cela lui est arrivé souvent de me faire une promesse, celle d’être sage. Il me le dit à chaque fois qu’il me le dit, je le crois. Je suis persuadé effectivement qu’il tiendra sa promesse et qu’il sera sage. Quand il ne l’est pas, je suis d’abord déçu qu’il n’ait pas tenu sa promesse. Soudain, je me dis qu’il faut que je comprenne que c’est un garçon en devenir. Il devient, donc il explore, donc il essaye de comprendre ce que veut dire le sens de la parole qu’il m’a donnée. Il ne la connaît pas encore. Cela reste à découvrir pour lui. Ce dont il s’agit, c’est de trouver d’être dans son processus d’apprentissage. Il faut arriver, si on tient à cet objectif-là, d’être ouvert à l’inconnu. Si on y arrive, on avance alors dans l’existence.

Q : Dans l’hommage qui vous a été rendu, il y a un grand choix de films. J’aimerais savoir si vous avez participé à ce choix et si vous avez l’impression de laisser des films importants derrière vous, si oui lesquels ? Comment faire cette sélection de quelques films pour dresser un portrait ?

Keitel : Non, je n’ai pas participé à ce choix. Peut-être que j’aurais rajouté quelques films à la liste que j’ai vue ici. Mais c’est aussi une question de temps. Je dois vous dire que je trouve de façon générale que ce montage est très difficile à faire, de vouloir dans une série de films rendre compte du travail tout entier que quelqu’un a fait. A ce titre, Bruno Barde a fait un travail extrêmement passionnant et je lui suis reconnaissant pour cela. Je trouve que c’est très bien fait. Pour en finir peut-être, je pourrais vous dire que je me trouve un peu étrange assis face à vous et de devoir répondre à ces questions. Toutes les questions que vous me posez sont aussi adressées à vous-mêmes. Je suis persuadé que chacun d’entre vous aurait des réponses plus intéressantes que les miennes. Les choses font que je fais un travail dans lequel on me voit et que je fais des films, donc je m’appelle un acteur et donc on me place sur cette espèce d’estrade face à vous, et c’est vous qui posez les questions et moi qui doit y répondre. Très honnêtement, je ne peux rien dire de plus que parler avec ceux avec lesquels j’ai travaillé, certains d’entre eux que j’ai vraiment adoré, pas forcément ceux avec lesquels je me suis battu. Je me suis battu aussi quelques fois avec des gens que j’appréciais. En tout cas, mis à part de parler de mon expérience avec ces gens-là, je trouve inadéquat le fait d’être assis comme cela au dessus et de devoir répondre à vos questions. Je devrais plutôt être assis avec vous et que l’on réponde à la question mutuellement.

Q : A première vue, vous appréciez beaucoup les croissants français …

Keitel : En effet, je suis quelqu’un qui aime particulièrement manger des croissants. J’en mange jamais aux Etats-Unis. Quand je viens en France, je me donne une autorisation spéciale, j’en prends autant que mes deux mains peuvent en tenir et je m’en donne à cœur joie. Ils remplacent les petits cookies au chocolat et aux nougats que je mangeais quand j’étais petit. Je me dis à mon âge que j’aurais l’air ridicule de manger des cookies au chocolat.