Conference-de-Presse - We and the I (The)

Par Mulder, Deauville, 05 septembre 2012

Michel Gondry Q : J’aimerais connaître l’idée qui a été le point de départ du film ? Est-ce que vous pouvez nous parler de la lettre de la mère de la famille Chen et nous parler des rapports entre la réalité et la fiction ? J’ai vu en effet que la plupart des protagonistes portaient leur propre prénom.

Michel Gondry : Je vais commencer par la fin, car c’est plus simple à retenir. La lettre de la mère était un email qu’elle nous avait envoyé parce qu’on a tourné la petite scène que l’on voit sans arrêt dans le téléphone (butter video comme on dit) où on voit le jeune Elijah glisser sur le sol de la cuisine. On l’a tournée chez les Laidychen et ses frères et sa mère nous ont d’une certaine manière préparés psychologiquement à venir dans son appartement qu’elle avait préparé pour nous. Mais ce ne sont pas des gens très riches, ils avaient à peine de quoi se nourrir. Ils étaient une famille de sept, huit, c’était assez serré, elle nous a raconté toute cette lettre que vous pouvez lire parce que l’épisode de mettre du beurre sur le sol de la cuisine venait de quelque chose qu’elle avait fait pour ses enfants, pour les empêcher de jouer à la PS3. On avait trouvé cela très touchant et j’ai décidé de l’inclure à la fin comme note positive et qui raccordait, qui montrait d’une manière assez simple finalement qu’on était parti de personnages réels. Pour la première partie de la question, à savoir comment l’idée m’est venue, il y avait un voyage en bus dans les années 1980 et j’ai toujours été en général intéressé par le phénomène de groupe et comment la personnalité de chacun est influencé par le nombre d’individus face à qui cette personne se trouve et par rapport au nombre qui évolue de ce groupe, les dynamiques, voire la conscience de soi évolue. Les gens ne sont pas fixes, ils sont immuables, ils varient en fonction du nombre de personnes avec lesquels ils se trouvent. Je trouvais cela intéressant. Le principe du bus permet de démarrer avec un groupe, tout une dynamique au maximum et puis au fur et à mesure alors que l’énergie en superficie est au paroxysme, le niveau d’élévation de la discussion est assez terre à terre. Il y a beaucoup de stéréotypes, de clichés et au fur et à mesure que le groupe se désagrège, effectivement on s’aperçoit qu’il y a un certain enrichissement à propos de la profondeur du débat et les sujets abordés sont plus personnels et finalement lorsqu’il en reste plus que deux, on parle vraiment de ce qui touche.

Q : Félicitations pour ce film, qui est une vraie pièce de virtuosité, pour moi surtout le générique de début. Je trouve incroyable comment on arrive à rendre aussi intéressant et poétique une réalité assez triviale et sans grand intérêt quand on la côtoie tous les jours, d’arriver à en faire un clip assez fascinant et je dois dire que le choix de la musique est particulièrement bien trouvé du début à la fin. Ce qui m’intéresse de savoir c’est quelle est la part d’improvisation de la part des comédiens qui jouent et qui sont tous non professionnels et quelle est la part d’écriture vraiment dans le scénario parce que le fond du sujet vous l’avez résumé, c’est vraiment cela, tout ceux qui ont élevé des adolescents savent qu’on n’a pas à faire aux mêmes personnes quand ils sont en groupe et quand on les retrouve après une semaine de vacances tout seul ?

Gondry : Oui exactement, moi, je n’en ai qu’un et déjà à lui seul il forme un groupe, c’est un groupe solo. La part d’improvisation n’était pas aussi grande que cela, il y avait toujours des petites bribes qui étaient pas prévues, mais on avait un scénario qui était écrit, basé sur une trame que j’avais apporté qui était écrit par Paul Proch et Jeffrey Grimshaw, ils ont des noms difficiles, ce sont des gens de New York. Paul Proch avait servi d’inspiration pour des éléments du personnage de Jim Carrey dans Eternal Sunshine of the Spotless mind et c’est quelqu’un de très flippé mais de très intéressant aussi et il nous a écrit un scénario. En fait, j’ai démarré ce programme d’une certaine manière dans un centre après scolaire du Bronx avec une histoire d’une vingtaine de pages, vint-cinq pages, qui racontaient en gros les éléments principaux de l’histoire, leurs problèmes, les ruptures, les engueulades et petit à petit en discutant avec ces jeunes qu’on a engagés directement sans faire aucune sélection, on a commencé à trouver les analogies entre leur histoire et la mienne et petit à petit, cela s’est passé sur deux ans, les scénaristes sont venus interviewer les trente-cinq jeunes et ont récolté des histoires variées, un tissu de scénettes que l’on a réintégrées, remises ensemble pour faire le scénario et là, au montage, on a retaillé pour donner l’apparence d’un film. On avait un scénario d’à peu près deux-cents-cinquante pages qui était assez dense. Cela fait que pour les jeunes, il n’y a pas eu d’improvisation au sens propre, mais en réalité, ils disaient les mots qu’ils avaient dictés. C’était vraiment leurs mots. Après, je devais travailler pour obtenir les émotions par rapport à ce que le texte disait. C'est-à-dire qu’eux avaient ressenti ces émotions, on les avait notées et ils devaient les rejouer et c’était là que cela ne collait pas forcément. Ils n’avaient pas forcément envie de ressentir la compréhension ou l’envie ou le besoin de ressortir cette émotion à tel moment. Là, il a fallu que je trouve de petites astuces, c'est-à-dire qu’au départ, le groupe fait en sorte que les émotions, les réactions soient assez superficielles, assez immédiates. Là, c’est beaucoup de moqueries, de rire, de vannes, c’est ce qu’on appelle the dis (dismit, se moquer). C’est un peu la base de la culture afro-américaine, du rap qui pourrait correspondre à une certaine culture dans les banlieues. Il y a une sorte de bizutage permanent qui fait que les gens sont très vifs en fin de compte. Il y a toute cette culture qu’on sent au départ, toute cette énergie. Pour l’obtenir, il fallait trouver des choses à leur présenter hors caméra qui puissent les faire réagir, par exemple, il y a Teresa qui revient avec une perruque. J’ai eu la mauvaise idée de lui faire porter la perruque une semaine avant le début du tournage et tout le monde était habitué, donc quand elle rentre dans le bus avec la perruque, cela tombait complètement à plat. On est alors allé acheter une perruque verte ou orange de footballeur et on l’a bien cachée et au moment où on a déclenché la caméra, on lui a mis cette perruque. Et là, les gens ont vraiment réagi tel qu’on le voit dans le film. Quand ils rigolent, se moquent, il fallait toujours prendre des photos de quelqu’un qui dormait avec la bouche ouverte ou une photo assez bizarre sur le net. C’était le début du film, quand c’était le chaos et que les gens devaient réagir d’une manière assez viscérale, assez immédiate. Au fur et à mesure que les groupes se simplifient, l’échange se complexifie et là, je ne pouvais plus utiliser ces ruses un petit peu premier degré. Finalement, je leur ai demandé de puiser dans leurs sentiments, dans leurs souvenirs des éléments pour qu’ils puissent travailler leur jeux, lui donner de la profondeur. Par exemple Teresa a vécu une rupture très difficile et il lui suffisait de lui demander de nous parler de ce qui s’était passé avec son ancien copain et elle avait alors beaucoup d’émotions qui lui revenaient, du ressentiment et après ils avaient l’intelligence de pouvoir adapter tous ces états d’âme dans des paroles qu’ils connaissaient par cœur. Il n’y avait pas d’improvisation, mais on s’est servi de la vie autour d’eux pour influencer le jeu.

Q : J’aimerais savoir d’où sortait le minibus du début du film ? Savoir si c’était une invention de votre part ou si vous l’aviez trouvé dans une brocante ?

Gondry : Je l’ai fabriqué, c’est une invention de ma part. Je me suis dit, ce film ne me ressemble pas tant que cela, donc si je peux bien me faire plaisir pour un plan, je vais faire celui-là. C’est une idée que j’avais depuis très longtemps. Mon frère habite en banlieue Est de Paris, à côté d’une ligne de RER qui traverse son jardin et depuis des années, j’ai toujours eu l’envie d’acheter un petit train électrique, le caser sur un rail, y mettre une caméra devant et attendre que le grand train passe pour le démarrer et faire le plan de la mort où le grand train écrase le petit train. Je n’ai jamais eu l’occasion de la faire et là cela s’est bien présenté et il y avait aussi la culture rap, le blues du sud comme Young MC et pas mal d’autres qu’on entend surtout dans le début du film. Le rap a une place très importante dans cette partie de la ville et cette partie de la ville a aussi une place importante dans le rap. Ce côté ghetto blaster est assez associé avec l’image du rap. J’ai fait des parallèles inconscients plus ou moins évidents entre le bus et le ghetto blaster et donc j’en ai fait construire un en forme de bus et après de le trouver écrasé par l’autre. J’y ai pas réfléchi pendant des heures pour passer à l’exécution de cette idée. Il y a plusieurs choses, c’est que je me moque un peu de moi-même d’une certaine manière. Ensuite, cela montre un peu l’action sans pitié des caïds dans le groupe et je trouve que cela lançait bien l’histoire. Quand on avait les deux ensembles, autant les faire s’écraser. Je trouvais cela sympa.

Q : Vous dites que c’est un film qui vous ressemble pas. Effectivement, il ne ressemble pas à ce que vous avez fait jusqu’à présent, mais est-ce un projet que vous aviez à cœur depuis longtemps, car vous dites à coté de cela que l’idée vous est venue dans les années 1980 dans un bus ?

Gondry : Effectivement quand je dis qu’il ne me ressemble pas, c’est qu’il ne ressemble pas à l’image que les gens ont de moi, mais il me ressemble plus que beaucoup d’autres. C’est une sorte de continuation d’idées et d’envies de bricolage. C’est un mot que je m’étais juré de ne pas utiliser, pouvez-vous l’effacer s’il vous plaît. Cela fait partie de différents systèmes que j’ai voulu faire fonctionner depuis un moment. Ils ont déjà fonctionné dans ma tête, puis sur papier, ensuite dans d’autres films, comme l’histoire des usines de films amateurs, où les gens sont livrés à eux-mêmes dans des petits studios et peuvent faire des films entre amis sans avoir l’intervention de professionnels. Cette idée de jeunes que l’on enferme pas d’une certaine manière, mais pourtant si, en les mettant dans des bus, elle m’est venue depuis très longtemps. J’avais fait un clip pour Amina en 1992, je ne m’en souviens pas très précisément. Cette idée que dans un bus, le support ne change pas, il y a la même chose dans le métro à Paris par exemple. Il y a des lignes de métro qui passent par Barbès et puis après par Etoile et les quartiers les plus chics de Paris. Le métro ne change pas mais les gens qui traversent passent par toutes les couches sociales et je trouve cela assez incroyable du point de vue de la logique. C’est le même support mais les personnes sont complètement différentes. Le busing aux Etats-Unis est un problème assez épineux dans le sens où ils ont essayé dans les années 1980 de faire une sorte de mixité, ils essayent de trouver des solutions pour l’école publique tout en essayant de la couler, on ne sait pas trop quelles sont les volontés derrière, mais le fait est qu’ils ont délocalisé les écoles par rapport aux élèves. Pour pas que tel élève qui habite dans telle zone se retrouve dans la même zone au niveau de l’école, ils ont éloigné les élèves des écoles, mais le problème c’est que tout cela fait des voyages en bus. Il y avait de grands voyages de bus et c’est un peu une plaie dans l’école publique américaine, mais comme il y a très, très peu de gens qui ont pratiqué les écoles publiques et qui sont dans les métiers de la communication aux Etats-Unis, car ce sont deux secteurs tout à fait différents, on n’en parle pas. Je me suis également aperçu, à même pas une semaine du tournage, que tous les jours, les jeunes qui allaient dans cette école publique doivent payer un dollar pour confier leur téléphone portable à l’épicier du coin, qui se fait son petit business. Il est en effet interdit d’amener son portable à l’école et ils ont tous ce besoin absolu de communiquer de façon immédiate. Ils déposent tous les matins leur téléphone à l’épicerie dans un petit sac en papier et le soir, ils le récupèrent contre un dollar. Dans le film, on a un peu triché, ils payent le matin, mais c’est plus simple comme cela. Je trouve cela intéressant, car ils sont obligés de passer par ce système. Pour pouvoir être à la page comme les autres, ils sont obligés de débourser un dollar par jour.

Q : Je pense que c’est un film qui vous ressemble et qui est dans la continuité de ce que vous faites. J’aimerais savoir si ce n’était pas aussi une métaphore de la vie, puisque dans ce bus, c’est la vie qui se déroule, mais en même temps à double sens, à la fois dans le bus lui-même, mais aussi dans son parcours. Cela démarre un peu comme quand on est jeune et con et cela finit quand on commence à réfléchir. Est-ce que je me trompe ?

Gondry : C’est une bonne image, mais ce n’est pas la seule. On peut voir la vie comme cela, je n’y ai pas pensé, il faut que je réfléchisse à ce que vous me dites et voir si cela peut s’appliquer à la vie. Est-ce que quand on est jeune, on est plus superficiel qu’en étant adulte. Moi, personnellement, j’étais la même personne, mais en étant plus timide. A la limite, cela aura été le contraire. Disons que je me serais plutôt situé dans le clan de Manuel, celui qui dessine que l’on n’entend pas et qui observe bien, pas non plus de Alex, car c’est quelqu’un qui a beaucoup de charisme, mais cela peut être la forme d’évolution de vie que quelqu’un va prendre. De là à dire que cela concerne tout le monde, cela je ne peux pas le dire. Je n’y ai pas du tout pensé, mais c’est une bonne image. Je pense qu’à partir de maintenant, cette question va être posé de nouveau, si c’est enregistré quelque part, et je vais y réfléchir et essayer de trouver une meilleure réponse au fur et à mesure que la même question est posée. Merci de cette question, je vais y réfléchir.

Q : Votre film se déroule pendant une heure et demie dans un bus. Quelles ont été les contraintes que vous avez rencontrées pour tenir techniquement et les inquiétudes que vous avez eues quand vous avez commencé ce projet ?

Gondry : J’ai eu toutes les inquiétudes existantes. Pour les contraintes, on fait des prises qui ne sont pas forcément faites en une seule fois, donc la plus grosse contrainte est entre le bus en mouvement et le bus à l’arrêt. Car si cela dure une heure et demie, le bus va être à l’arrêt entre des feux rouges, des embouteillages. On tournait avec deux caméras et c'était déjà pas mal. Il fallait faire parfois deux prises, trois prises et après faire un montage traditionnel en sélectionnant la première partie dans telle prise, etc. C’est là qu’on commence à avoir des problèmes de continuité. Pour les régler, on avait fait un système tout simple : chaque jour, il y avait un chemin de dix minutes que le bus exécutait en boucle. En gros, cela faisait un à deux kilomètres et le bus faisait le même chemin tout le temps du matin au soir, ce qui fait que comme on décidait que cette boucle correspondrait à dix minutes, on prenait dix pages de scénario et on faisait tourner le bus pour être dans les mêmes proportions de décors. Le Bronx est un quartier très riche, il y a les blocs (les hlms), les zones résidentielles, un côté industriel et le yankee stadium, des parcs. Cela ne fait pas pitié du tout. Cela peut être impressionnant parfois, mais ce n’est pas pathétique. Il y a une dimension. Il fallait trouver une solution pour pouvoir tourner de manière fluide mais qu’en même temps, on est en cohérence au niveau des décors. On passe sans arrêt entre un arbre et un pont, il y a des feux rouges et des métros aériens qui fournissent des décors très typiques, quand on suit les lignes en dessous cela évoque beaucoup de films. J’allais dire un nom de film porno, mais je me suis retenu. Je n’en connais pas à New York. Le plus difficile était d’avoir une cohérence entre le bus à l’arrêt et le bus en mouvement. Il fallait se souvenir quand on faisait un côté de la scène, puis un autre, à quel moment le bus était arrêté et quand il était reparti. Au niveau de l’étalonnage et de la colométrie, ils ont trouvé cela en effet difficile, mais moi, je ne reste pas dans la pièce, car je trouve qu’ils enculent des mouches si je peux me le permettre. Cela me rend nerveux. Il s’agissait d’un agent de chez Fop qui faisait son premier film et il a voulu vraiment faire les choses bien. Moi, j’y allais tous les deux jours et je disais que c’était un peu trop jaune ou un peu trop foncé et cela me suffit, mais lui, il a vraiment travaillé en détail et c’est vrai qu’il y a eu une ou deux vitres qu’on a traitées pour que le décor bouge au lieu d’être fixe ou le contraire, peut-être quatre ou cinq où on a changé l’étalonnage pour raccorder au niveau de la lumière. On avait une variété de lumières, car on tournait toujours du matin au soir. J’ai un peu triché. Au début, dans ma tête, je me suis dis que j’allais faire la journée qui baisse. Au mois de juillet en principe, cela n’arriverait pas mais j’ai trouvé que pour le film c’était beau qu’on puisse avoir cette variation de lumière, le coucher de soleil, etc. Dans la deuxième partie du tournage, j’ai essayé à chaque fois qu’on arrivait à la fin de soirée, que la lumière baissait, de faire des plans qui correspondent à la fin de l’histoire et ma productrice me regardait comme cela en me disant qu’elle voyait très bien ce que j’étais en train de faire et au lieu de me le reprocher, elle a trouvé des solutions pour m’aider. Mais au départ, si je n’en avais pas parlé alors qu’on était en pleine préparation, les gens auraient trop flippé, on aurait pas pu le faire.

Q : J’aimerais savoir comment vous définiriez vous-même votre film, car on peut se rendre compte que dans la salle, ce film va faire discussion. Des gens sont partis. Il y a aussi ceux qui voient le film de façon assez amusante. Votre film amène le rire pour certaines personnes et le dégoût pour d’autres …

Gondry : Vous voulez dire que pendant le film, des gens se mettent à parler ? Qui sont les gens qui sont partis ? Est-ce qu’ils sont revenus ensuite ? J’aimerais savoir si ceux qui sont partis ont payé leur place ? Ce sont les personnes les plus âgées. Ils n’arrivaient pas à lire les sous-titres. Vous voyez, si je n’avais pas relevé l’anguille sous roche, je serais parti avec un sentiment très négatif sur mon film, alors que c’est tout simplement que les personnages âgées ont du mal à lire les sous-titres. On peut faire tout ce qu’on veut par rapport au film, tant qu’on reste. Après, si on part, on fait de l’ombre pour les gens qui sont derrières. C’est pénible les gens qui vont aux toilettes pendant la projection. En tant que réalisateur, je pense qu’ils sortent et après je les vois revenir dix minutes plus tard et je dis ouf, c’était un pipi ou un truc comme cela. Plus sérieusement, je pense que c’est rigolo et qu’il y a parfois un peu de cruauté. La chose la plus nouvelle et inhabituelle par rapport à ce que j’ai fait dans le passé, c’est que je n’ai pas trop hésité à durcir le trait ou le laisser dur. Il s’agissait de gens ayant une grande affection les uns pour les autres. Ils n’étaient pas aussi méchants que cela entre eux. Il est vrai aussi que lorsque on est un groupe, on a tendance à faire des choses qu’on ne ferait pas si on était seul. Il y a un peu de méchanceté, mais ce n’est pas une méchanceté qui fait dire que ce sont des barbares ou quoi que ce soit, ce sont des gens normaux. Si on arrive pas à lire les sous-titres, on entend des jeunes qui aboient. Il faudrait mettre des gros sous-titres. Il faudrait mettre des détecteurs de gens qui partent qui grossiraient les lettres.

Q : Votre film commence par un bus plein et se finit par un bus qui s’est vidé progressivement. Qu’est-ce qui a déterminé les haltes et le fait que certains descendent. Est-ce qu’il s’agissait de leurs véritables arrêts ? Qu’est-ce qui a fait que vous avez gardé ceux qui restent jusqu’au bout ? Comment s’est passé ce dégraissage progressif ?

Gondry : Selon l’expression, quand le bus est vide, on le plaint, non c’est le contraire. Non, on ne l’a pas laissé se vider. C’est une bonne question en réalité, donc je ne vais pas la tourner en dérision. Cela s’est passé naturellement. On a décidé un beau jour de faire ce projet dans ce centre, The Point, qui est un centre formidable d’activités après scolaire dans le Bronx du Sud. On a pris les trente-cinq étudiants qui se sont inscrits les premiers en leur disant qu’on allait faire un film sur un bus d’ici un an, est-ce que cela vous dit de bosser dessus et de nous raconter vos histoires et après de le jouer ? Cela a plu à tout le monde, ils sont quasiment tous restés. Petit à petit, on a fait plusieurs sortes de travail, une où les gens se racontaient. Je me souviens du petit Sam qui racontait que c’était un génie qui parlait d’énergie quantite et après, lorsque je l’ai fait approfondir, il ne connaissait rien, par contre, il avait une tchatche pas possible. Il était énervant et dès que je l’ai vu, je me suis dit qu’il allait valser du bus très tôt lui. Evidemment, il se fait dégager. Les personnages se sont ajustés et choisis par la nature des gens en même temps qu’ils se fabriquaient d’une certaine manière. J’avais en gros cinq personnages dans ma trame qu’on a trouvés immédiatement, c’était évident que cela soit Michael, il avait la tête du playboy, il était assez charismatique, il avait ce côté un peu creux que, je trouve, ont les stars. Ils ont ce côté qui montre qu’ils n’ont pas assez souffert d’une certaine manière, gueule d’ange et épaule de camionneur. Cela fait un mélange qu’on a pas trop à ramer dans la vie. Il a eu des galères, ce ne sont pas des gens qui ont eu une vie facile. C’est la raison pour laquelle on a affiché la lettre de la maman, de tous les Chen, à la fin car ils vivent de manière assez difficile. En fait, je n’aime pas le principe de sélection, c’est pour cela que je fais ces usines de films amateurs, où les gens n’ont pas du tout besoin de passer de tests et tout le monde peut participer. Je me suis dit dans un bus, il y aura forcément trois, quatre, cinq, six, sept élèves qui vont ressortir plus et qui vont, sous le coup de leurs ennemis, avoir plus d’importance et d’autres qui seront là et qui sortiront d’une part plus tôt ou s’ils restent plus longtemps, parleront moins. Ils seront plus timides ou ne seront pas au centre de l’histoire. Cette sélection s’est fait complètement naturellement par rapport aux gens qui étaient plus bavards et qui avaient raconté une histoire qui collait mieux avec notre cadre. On ne s’est jamais assis entre le scénariste et moi-même et ma productrice pour décider de ces choses-là, c’est venu naturellement. Par contre, il y a eu des désistements ou quelqu’un qui voulait plus faire le film, car ils ont toujours une personne adulte de laquelle ils doivent s’occuper, une grand-mère, un père. La mort est quand même très présente, car si elle revient à la fin du film, ce n’est pas un hasard. Effectivement, le meilleur ami de Chen Chen s’est fait tuer pour dix dollars dans la rue. Cela, on ne l’a pas inventé, on l’a raccroché à cette histoire de vidéo, mais en réalité, ils perdent leurs amis. Comme ils ont accès à ces informations textuelles incessantes que sont les textos, il y a des fois où Michael faisait une gueule pas possible et il me répondait des choses comme sa tante venait de mourir. Ils n’ont pas le temps de se préparer à une tristesse. Ils ont l’information en permanence de plein fouet dans le visage. C’est quelque chose que j’ai trouvé intéressant et qui n’est pas forcément spécifique du Bronx, mais qui en même temps est spécifique du temps. On n’a pas le temps de digérer les informations, elles nous sont balancées sans arrêt et j’ai utilisé le téléphone portable pour signifier cela.

Q : J’aurais aimé savoir ce que vous dessinez sur votre calepin ? J’aurais aimé savoir si vous êtes venu avec votre calepin de peur de vous ennuyer avec nous ?

Gondry : Vous voulez le voir ? Cela va prendre une minute. Mais non, quand je ne m’ennuie pas, j’ai envie de m’amuser. Quand je m’amuse, je m’ennuie encore moins. Normalement, je fais des photos, mais j’ai oublié le chargeur de mon appareil, donc j’ai pris de l’encre. Je vais vous en montrer d’autres. Voici un dessin d’une jeune hier, qui faisait semblant d’être normale, mais c’était une actrice, elle mettait ses yeux en pied de biche pour me séduire, mais elle n’a pas eu de rôle. Hier, on a fait cette présentation et j’avais rendez-vous avec une amie et il se trouve que d’autres personnes se greffent à ce rendez-vous. On se retrouve à six à table et après je me dis que je dois aller me coucher, car le lendemain, je viens ici à Deauville. Elle me force à aller au Montana, une boite branchée de la branchitude parisienne, et je dis que oui finalement, on est alors parti dans la petite voiture de l’une d’entre elles et moi je voulais rentrer chez moi pour me reposer et être en forme pour vous parler et dire des choses pas débiles. On se pointe devant le videur du Montana, il nous jette. J’ai trouvé cela génial. Toute ma vie, je me suis fait jeter des boites parisiennes et on allait en boite à Rambouillet, un truc qui s’appelait le Grillon qui faisait boite de nuit, boite disco et de hard rock et pizzeria. On avait un plan : les filles allaient danser dans la salle disco et leurs mecs dans la salle hard rock, nous, on allait draguer les filles dans la salle disco, mais cela ne marchait pas. Donc, je suis toujours viré des boites parisiennes, cependant les gens me traitent de branché des fois.

Q : A propos de la ligne de bus qui existe vraiment, est-ce qu’il existe des lignes aussi longues que cela ou avez-vous triché ? Y a-t-il eu un casting des lignes de bus ?

Gondry : J’ai un peu triché. La ligne de bus du film n’existe pas telle qu’elle est dans le film. Il y a bien eu un casting des lignes de bus, mais elles ne voulaient pas coucher. Trève de plaisanterie, c’était un problème très important. On avait pensé au début à une ligne invraisemblable qui partirait de Brooklyn et qui irait dans le Bronx ou vice versa. On a finalement pas fait cela, on est resté dans un périmètre très fermé. En fait, le Bronx est très varié. On était dans un périmètre de deux kilomètres sur quatre. On a sillonné dans tous les sens. C’est une ligne très plausible. Il y aurait, je pense, une demie heure de moins par trajet, mais c’est une hyper continuité on pourrait dire. On a un peu étiré la continuité. Par exemple, on faisait les repérages de la fin de l’histoire avec mon équipe, ma productrice et mes collaborateurs. On s’est retrouvé dans un point, qui me semblait être le bout du monde et là, on avait toute la famille Carrasco et la dame qui écrit la lettre, ils revenaient tous du point où ils avaient passé l’après-midi, coin de l’East River et c’était le lieu où ils passaient tous leurs après-midi. On s’est dit, on est quand même dans le sujet. Il y a quelque chose de crédible, d’authentique. Effectivement, le bus, quand il arrive et passe le signe Welcome Bronx, c’est vraiment par là que l’on passe.