Conference-de-Presse - Ain’t Them Bodies Saints (Amants du Texas)

Par Mulder, Deauville, 06 septembre 2013

Q : tout à l’heure vous disiez que le film devait s’écouter comme une chanson country et se regarder aussi. On s’aperçoit que la volonté du montage est celle d’une ballade country, un bluegrass. Est-ce que c’était cela que vous vouliez et peut être même plus avec cette fin sur la mort ?

David Lowery : Oui, effectivement, merci d’avoir parlé de chanson country (bluegrass) Mon père, lui-même, chantait beaucoup de country quand j’étais enfant et cela fait partie de mon enfance. J’apprécie moi-même la tradition Folk et le fait de raconter une histoire de cette manière et que d’autres personnes vont aller la chanter plus tard et la faire passer à leur tour comme des conteurs du temps jadis. Mais, à chaque fois, il y a une petite chose qui change de par la différente interprétation des chanteurs, de par les accords de musique différents. A chaque fois, l’histoire change presque imperceptiblement mais change quand même bien que la racine de l’histoire reste la même et que c’était aussi quelque part ce qui m’intéressait. J‘aime beaucoup la tradition Folk, la tradition de manière générale. C’est quelque chose qui m’intéresse et que j’ai voulu faire passer à travers ce film.

Q : Pourquoi avoir voulu raconter cette histoire ? Quel est l’intérêt premier hormis la musique car c’est vrai c’est une histoire qui nous emporte ?

Lowery : L’histoire elle-même est une histoire qui est très proche de la tradition Folk, des chansons folkloriques américaines, ce que vous appeliez la country tout à l’heure, c'est-à-dire des chansons dans lesquelles il y a beaucoup d’allusions à des hors la loi et très souvent des couples hors la loi. Il y a beaucoup d’histoires de films qui ont été traitées de cette manière là comme Bonnie and Clyde, True Romance. De mon côté, j’ai beaucoup entendu ce genre de musique dans mon enfance et adolescence. J’avais envie de placer ce genre d’archétype, de stéréotype de personnages que l’on retrouve dans cette tradition dans mon film. Le thème de deux personnes, un homme et une femme amoureux qui sont en dehors de la loi était un thème qui me plaisait. C’est effectivement une trame basique encore une fois une histoire américaine mais c’était ce qui me plaisait de mettre en scène.

David Lowery Q : Pouvez-vous nous expliquer le rôle du père adoptif ?

Lowery : En ce qui concerne le personnage du père adoptif, Skerritt, dans le film que l’on ne comprend pas bien, ce personnage qui est interprété par Keith Carradine c’est le patriarche. Il est la figure paternelle, le père adoptif de Bob et Ruth et qui est lui-même un criminel. Ruth lui fait comprendre que cette vie de crime dans laquelle ils sont engagés maintenant c’est quelque part leur père qui les a guidés sur ce chemin et c’est un peu à cause de lui. C‘est un personnage qui essaye d’abandonner ces mauvaises manières, ce passé et se tourner vers quelque chose de plus constructif. Mais c’est difficile et il n’y arrive pas. Tous ces thèmes qui sont très folkloriques ou ancrés dans cette tradition m’ont intéressé dans l’élaboration du film.

Q : J’aimerais revenir sur la notion du temps. Je ne sais pas si vous connaissez un film qui s’appelle Alabama Monroe qui vient de sortir en France et qui est belge et dont la construction et la musique rejoignent celles de votre film. C’est une construction qui joue à la fois sur les allers-retours, sur le passé, sur le présent et cela joue la même musique. Est-ce que c’est votre montage qui l’a voulu ainsi ?

Lowery : Il y a beaucoup de moi-même dans le film. J’y ai apporté énormément. Quelque part, même dans l’élaboration du film , tous les personnages sont quelque part une facette de ma propre personnalité. Il y a un peu de blues en moi. Ainsi, le personnage de Patrick ,qui est mon deuxième prénom, utilise des tournures de phrase et parle comme moi. Il y a beaucoup de moi-même qui a été apporté dans ce film et dans les personnages. Il y a aussi une musicalité dans le film qui est proche de moi, de mes goûts et de la manière dont je réfléchis. Lorsque j’écoute des chansons, il y a des sentiments qui sont les siens effectivement et reflètent mon propre ressenti que j’ai essayé de transcrire dans la fabrication de ce film. Cela n’a pas toujours été facile. J’ai essayé de faire un film en faisant un peu une sorte de mimétisme avec la manière avec laquelle je réfléchis. J’ai essayé d’y appliquer mon propre mode de réflexion et de ressenti dans le film et c’est pour cette raison là que le film est très personnel et qui m’est très propre et proche et le rythme du film, le montage du film, toutes ces choses sont en permanence un reflet de la manière dont je réfléchis.

Q : Justement, qu’avez-vous demandé aux comédiens car leur jeu est très intériorisé. Cela rejoint peut être la réponse à la question précédente. Comment avez-vous préparé vos acteurs principaux ? On sent qu’il y a une intériorité et que c’est vrai, vous parliez de Bonnie et Clyde tout à l’heure.

Lowery : la manière dont j’ai préparé les comédiens aux rôles qu’ils ont interprétés avec talent est que je leur ai tout simplement parlé de leurs rôles et des performances que je voulais obtenir. Je leur ai donné des musiques à écouter que je pensais être en adéquation pour pouvoir préparer l’état d’esprit dans lequel ils devaient se trouver au moment du tournage. Après, je ne pourrais pas vous dire si ils les ont écouté ou pas. En tout cas, je leur ai donné ce genre de chose. Par exemple, Rooney Mara avait déjà des morceaux, des mélodies qu’elle avait déjà l’habitude d’écouter pour se préparer à un rôle ou une scène. Elle écoutait donc ces propres musiques pour se mettre dans l’esprit du personnage. La même chose s’est passée avec Ben Foster. Par contre concernant Casey Affleck, il avait besoin de parler. On a ainsi beaucoup parlé et marché. On s’est baladé ensemble très longtemps. On a beaucoup parlé pour qu’il puisse se préparer à incarner son personnage. On s’est même parfois un peu perdu dans le personnage mais ce n’était pas plus mal car lorsqu’on parle énormément d’un personnage d’un film et de rentrer dans sa psychologie à 100% cela fait qu’ au moment où l’on arrive sur le tournage, on est le personnage. On a plus besoin de le jouer, on l’est. Le but a été atteint avec toutes ses phases de discussion. Le personnage interprété par Rooney Mara est un personnage qui est lui-même très opaque, il est très difficile de comprendre exactement ce qu’elle ressent, ce qu’elle pense car elle garde beaucoup de choses en elle. La manière dont Rooney Mara s’est préparée ensuite cela ne m’appartient plus. Elle s’est préparée au rôle de manière dont elle l’a entendu. Si je lui dis qu’à partir d’un moment son mari est parti, peut-être qu’elle pense à autre chose. Elle a fait ce qu’elle voulait pour arriver à cet état d’esprit. A partir du moment où sur son visage, je retrouve cette expression, ce sentiment que je voulais retrouver, peu importe la manière dont elle a réussi à obtenir cela, alors tout va bien pour moi. C’est quelque part ce qui se rapproche le plus de ces jeux d’acteurs silencieux qui sont très difficiles à obtenir. C’est le résultat obtenu sur l’écran.

Q : Avez-vous choisi Casey Affleck en voyant le film L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford ? Il a ainsi un peu le même personnage. La figure féminine dans votre film est un peu une figure fantomatique, on la voit souvent dans le soleil. Avez-vous voulu dire que la femme est l’avenir de l’homme ?

Lowery : Tout d’abord pour la première question relative au film L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, ce n’était pas une référence directe mais c’est un film que j’ai beaucoup apprécié. Cela fait déjà depuis très longtemps que j’admire le jeu de comédien de Casey Affleck depuis des films comme Good Will Hunting ou Gerry qui ont été projetés ici même au festival de Deauville. Lorsque j’ai vu le film L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, je me suis rendu compte que Casey Affleck avait la possibilité de vraiment pouvoir jouer ce genre de personnage dans un film d’époque sans avoir l’air trop moderne. C’est aussi cela qui m’intéressait et c’est de cela dont je me suis rend compte. Il ne faut pas se voiler la face. Il y a beaucoup de similitudes entre les deux personnages et les deux films. Ce sont des personnages en dehors de la loi. Mais, à côté de cela, il y a aussi des différences marquées par le fait que j’ai vraiment essayé de créer un personnage distinct dans son état d’esprit et dans beaucoup d’autres choses. En ce qui concerne le personnage de Rooney Mara, je voulais en fait arriver à donner une représentation très forte d’un renouveau. Par exemple, il y a cette scène dans l’église avec son enfant dans les bras. Je voulais donner le sentiment qu’on était face à la vierge Marie. C’était une nouvelle fois quelque chose sur le symbolisme visuel. Je voulais faire voir que cette jeune femme qu’on a aperçue jeune au début a maintenant une nouvelle vie ou essaye de l’avoir même si elle est encore déchirée par tout ce qui se passe comme retrouver son ancien amant. Elle est dirigée vers quelque chose de différent, une sorte de rédemption et cela c’est ce que j’ai essayé de faire voir. Je voulais montrer qu’elle a une nouvelle vie et qu’elle est vivante et bien dans celle-ci. Ainsi, ce retour de son ancien amant est d’autant plus dramatique.

Q : Je voulais savoir comment cela se passait pour choisir le titre en français et qui en est responsable. Je trouve que pour une fois, le titre français est plutôt bien choisi.

Lowery : En fait, le titre français a été choisi par le distributeur français du film. Je pense que c’est un très bon titre et que cela correspond au film. En ce qui concerne le titre américain Ain’t Them Bodies Saints, celui-ci est tiré d’une parole d’une chanson que j’ai mal entendu. Finalement, ce titre a été retenu. C’est un titre que j’aime parce qu’il représente la musique. C‘est un phrasé très particulier. Personne ne parle comme cela dans la vie de tous les jours. Le titre est très musical et sonne comme une parole d’une chanson qui suggère une musique folk. C‘est un titre qui est assez difficile aux Etats-Unis mais les spectateurs ont vite apprécié ce titre et se le sont vite appropriés. C’est la raison pour laquelle je l’ai gardée. La chanson dont je ne me souviens pas fait partie du folklore américain.

Propos recueillis par Mulder, le 06 septembre 2013.
Avec nos remerciements à toute l’équipe de Le Public System Cinema
Vidéo et photos : Mulder