Conference-de-Presse - Ma vie avec Liberace (Behind the Candelabra)

Par Mulder, Deauville, 31 août 2013

Q : J’aimerais savoir si pour avoir les droits de ce livre cela été difficile ? Est-ce que par rapport à la promesse que Scott avait fait à Liberace le fait de ne pas le décrire quand il était malade est ce que c’est vous qui l’avez travaillé ou a t’il quand même été dévoilé ? J’ai aussi une question pour Michael Douglas qui est de savoir comment on se prépare pour un tel rôle ? Est-ce différent de vos autres films ?

Steven Soderbergh : Pour tout vous dire, cela n’a pas été difficile pour moi d’obtenir les droits du livre My Life With Liberace de Scott Thorson et Alex Thorleifson, cela a été assez simple. Ce qui a été beaucoup plus difficile c’est qu’ auparavant avant même que j’ai eu vent de l’existence de ce livre, la question de savoir comment j’allais rencontrer l’histoire de cet homme car je dois vous dire que Michael et moi avons évoqué cette possibilité ensemble déjà en l’an 2000 et ce n’est qu’en 2006 que j’ai su que ce livre existait. J’ai passé six années dans une espèce d’interrogation totale à savoir comment je pouvais raconter la vie de cet homme, sur quoi je peux me baser et cela a été une réflexion très difficile et très longue jusqu’au jour où j’ai appris que ce livre existait. Une fois que ce livre existait, j’ai cru que c’était le déclencheur qui allait faire que les choses allaient très vite mais il m’a fallu encore deux années par la suite, ce à quoi je ne m’attendais pas pour que le livre puisse se transformer vraiment en un film. Pour ce qui est de la question sur la fin du film, pour moi, ce qui m’a convaincu en lisant les mémoires de Scott c’est que le film valait la peine d‘être fait, que le film tiendrait c’est justement le récit qu’il a fait de cette dernière rencontre. C’était pour moi un moment extrêmement fort et puissant autour duquel allait se construire tout le film. J‘ai tenu qu’il figure dans ce film avec cette force-là. Mais, j’ai aussi voulu respecter la volonté de Liberace dans le sens où nous ne nous séparons pas de lui sur cette vision-là. Quand j’ai discuté avec mon scénariste, je lui ai dit de se débrouiller pour que la dernière image que l’on garde de lui ne soit pas cette image dégradée et donc c’est comme cela qu’il a trouvé cette idée que je trouve magnifique de Scott qui assiste aux funérailles de Liberace et qui imagine son dernier spectacle magnifique. Il se sépare de lui non pas malade mais en le voyant voler.

Michael Douglas : Ce qui a été très spécifique à ce rôle pour moi c’est que c’était la première fois que j’incarnais un personnage ayant existé donc j’avais la chance d’avoir des archives à volonté à ma disposition , tous ses spectacles, toutes les images de télévision, tout ce qui a été filmé de ses performances. Très tôt dans le scénario Steven a choisi les morceaux de musique qui allaient figurer dans les moments clés du film. J’ai pu m’appuyer sur ces morceaux et notamment il savait que le Boogy Boogy qui fait l’ouverture du film lui permet d’entrer en relation avec le public et qui était le morceau qui allait établir une fois pour toute son talent de pianiste. On savait qu’une fois que c’était là je n’avais plus à essayer de persuader le public de l’aspect virtuose du personnage. J’ai commencé beaucoup à travailler sur cela et comme vous le savez j’étais en convalescence donc j’avais tout mon temps pour cela, je n’avais rien d’autre à faire que de regarder ces images d’archives en boucle. Je voulais m’assurer auprès de Steven qu’il ne changerait pas de morceaux et que cela serait ceux-ci. J’avais la chance d’avoir énormément d’archives disponibles sur l’attitude de cet homme sur scène, sur son langage, sa voix. Il a fallu vraiment que je l’imite et que je sois dans ce processus de mimétisme qui m’a permis de travailler d’une façon que je n’ai pas forcément l’habitude de pratiquer qui est de l’extérieur vers l’intérieur. Il faut vraiment pénétrer au cœur du personnage de même que le fait un clown qui se maquille et qui entre dans la peau de son personnage. J’ai eu une année et demie pour le faire ce qui est assez rare. Il se trouve que j’avais la chance de savoir que Steven et Matt m’attendaient. Ils étaient chacun pris par d’autres projets. J’ai eu accès à tout le matériau et le temps disponible pour me préparer. Une fois que ce travail de préparation était fait, j’ai commencé à rencontrer des gens qui eux avaient personnellement rencontré Liberace et qui avaient toujours un bon mot à dire sur lui. C’était cet homme tel qu’on le voit, extrêmement généreux, vraiment affable qui aimait beaucoup recevoir, qui avait beaucoup d’humour et qui voulait que tout aille bien. Il ne supportait pas le conflit. Il fallait que rien ne dépasse. Quand les choses allaient dans le sens qu’il voulait, c’était un homme heureux. Je n’ai eu qu’à m’approprier cette perception assez parfaite dont je disposais.

Steven Soderbergh Q : vous évoquiez la joie de vivre de Liberace et cette expression m’a sauté aux oreilles car j’ai l’impression que c’est ce que vous partagiez avec lui malgré toutes les épreuves professionnelles et personnelles que vous avez partagées vous semblez avoir adopter la joie de vivre et sa philosophie de vie. Est-ce le cas ?

Douglas : Je pense que c’est pas mal oui comme moteur et philosophie de vie. J’ai l’impression que cela peut être un peu plus compliqué que cela de vraiment l’appliquer. Pour ce qui est de Liberace, comme c’est dit dans le film et que comme Richard LaGravenese le scénariste et Steven l’ont stipulé dès le départ, dans tous ses spectacles télévisées qu’il faisait, il a été le premier artiste à avoir ce regard caméra. Cela a été une innovation formidable car c’est ce qui donnait l’impression à tous les spectateurs y compris les téléspectateurs devant leur poste qu’il était en lien direct avec eux et toute cette joie qu’il animait c’était en fait quelque chose qu’il faisait exprès pour chacun de nous individuellement qui étions là à l’écouter. C’était la même chose quand il était sur scène, il avait ce même tic de contacts extrêmement direct et personnel avec chacune des personnes de l’assistance et donc on avait vraiment le sentiment qu’il transpirait de vie et de joie et qu’il le faisait uniquement pour vous personnellement. C’est pour cela que l’on s’étonne beaucoup à postériori de voir un personnage si flamboyant, si spectaculaire dont personne ne se disait qu’il était homosexuel car en fait oui cela ne les effleurait même pas l’esprit car pour son public il prenait simplement son pied. C’était un homme qui incarnait cette joie et ce bonheur. C’était un spectacle qu’il ne faisait que pour nous. Cela ne touchait pas pour son public sa vie personnelle. Si j’arrivais à avoir la moitié de son talent de joie et de communication, je ne serai pas mécontent.

Q : Vous avez eu cette belle soirée d’ouverture à Deauville. Le film va être présenté en salle à travers toute l’Europe mais il ne sortira pas en salle aux Etats-Unis. Le seul prix pour lequel il ne pourra pas concourir sera l’Oscar comment vivez-vous cela ?

Soderbergh : Franchement, je n’ai pas du tout à me plaindre personnellement de la diffusion du film telle qu’elle a lieu. On a eu 11 millions de spectateurs sur HBO aux Etats-Unis, on a 15 nominations aux Emmy Awards et cela c’est loin d’être quelque chose étonnant étant donné la qualité de la télévision américaine et de nos concurrents pour les Emmy Awards. En dehors des Etats-Unis, de l’Angleterre et de l’Australie ou le film est sorti en salle, tout se passe très bien. Je suis loin de pouvoir me plaindre.

Douglas : Ecoutez effectivement, nous on trouve cela formidable de voir ce qui se fait aujourd’hui à la télévision câblée américaine. Le message transmis par le festival de Cannes qui a choisi de faire figurer dans sa compétition officielle ce film réalisé par Steven et qui savait pertinemment que ce film avait été diffusé dans le cadre de la télévision américaine était un message extrêmement fort. Celui-ci disait qu’il se passait quelque chose dans ce pays aujourd’hui car beaucoup de nos grands réalisateurs, auteurs et scénaristes travaillent pour la télévision américaine câblée. Le festival de Cannes a fini par prendre acte de ce fait. Cela me semble extrêmement important cette dichotomie entre télévision et cinéma a fortement tendance à disparaître. On ne peut même plus parler de grands écrans car les écrans de télévision deviennent de plus en plus grands. Pour ce qui est des nominations et des Emmy Awards, Steven disait que nous en avions 15. Mais, ce qu’il n’a pas dit c’est que sur les quinze, il en incarne à lui seul trois puisqu’il est nommé à la fois comme meilleur réalisateur mais aussi comme meilleur chef opérateur (directeur de la photographie) et meilleur monteur. C’est lui l‘homme à tout faire du film que vous avez en face de vous et il fait un excellent travail et ce que cela nous a apporté à nous dans notre mode de fonctionnement c’est que dans notre journée classique de tournage, on sortait du plateau, on enlevait nos prothèses, on rentrait chez nous, on prenait un bain et dînait et là sur notre tablette IPAD on recevait un message de Steven qui nous envoyait non seulement tous les rushs de la journée mais aussi le montage, les scènes que nous avions tournées ce jour. On pouvait nous même d’une façon absolument inédite et spectaculaire suivre le travail qui avait été fait dans la journée et retourner en arrière voir la scène précédente et ainsi voir le film en train de s’articuler et de se construire, voir où on allait. C’est une méthode absolument irremplaçable et géniale dont nous avons tous pu bénéficier. Je ne devrais peut être pas vous le dire mais il se trouve qu’ on a fini de tourner un vendredi et le lundi d’après la première mouture du film était déjà prête. Ce sont des conditions de rêve pour travailler.

Michael Douglas Q : Votre film est celui que j’ai préféré cette année et j’en ai vu beaucoup. J’aimerais vous demander à tous les deux en qualité de producteur, l’un qui est reconnu comme tel et l’autre qui déteste de l’être, que pensez-vous du fait que cela soit HBO aujourd’hui qui doive produire ce film. Pensez-vous qu’ Hollywood en terme de production prend beaucoup moins de risques aujourd’hui qu’il ne le faisait il y a encore deux décennies ?

Douglas : tout d’abord, il faut rendre à Jerry Weintraub ce qui lui revient. Je sais qu’il est planqué quelque part dans les parages et qu’il nous surveille. Il doit nous en vouloir si on ne parle pas ici du travail formidable de producteur qu’il a su donner pour ce film de HBO et la façon dont il nous a soutenu pour faire ce film. Je trouve votre question absolument pertinente. Effectivement ce qui se passe aujourd’hui, cette crise que nous traversons à Hollywood, c’est que les studios n’ont plus confiance aux talents. Ils ne peuvent plus se laisser aller et avoir cette confiance qui fait que quand vous avez à faire à une personne de talent, vous le laissez faire en sachant que vous ne serez pas perdant. Aujourd’hui ce qui est perçu comme un risque n’est plus pris. On le voit effectivement, c’est HBO, la télévision câblée, qui sait prendre ce risque et sait avoir cette confiance-là. Les résultats de cette attitude sont probants et on en a tous pu en bénéficier. Ce que je voulais dire et que j’espère étant donné qu’il y a beaucoup de nouvelles têtes à Hollywood qui sont en train de gamberger pour savoir quel sera le lendemain de leurs activités, espérons que l’on arrive à la fin de ce cycle et que de nouveau on saura remettre les rênes du cinéma entre les mains de personnes talentueux.

Q : Hier soir, vous avez dit que vous étiez très étonné que l’on pensait à vous pour jouer ce personnage. Avez-vous des ressemblances physiques avec Liberace que l’on ne connaît pas trop en France ? Avez-vous pris un risque pour incarner ce personnage-là ? Comme l’avez-vous préparé ?

Soderbergh : Je suis absolument incapable de vous exprimer comment cette idée a traverser et frapper mon esprit le jour où nous étions, Michael et moi, sur le plateau du film Traffic en 2000 à Cincinnati et pourquoi j’ai eu cette vision de Michael en Liberace. Liberace était quelqu’un qui était loin de ce qu’on imaginait. Je l’avais vu à la télévision comme tout le monde vers l’âge de neuf ou dix ans. Mes parents aimaient beaucoup le regarder. Il me semble en tout cas que je n’avais aucune conception, aucune idée de faire quelque chose de ce personnage entre cette rencontre furtive de l’enfance et le moment ou soudain il m’est revenu sous les traits de Michael Douglas. Heureusement, je n’ai jamais eu à me justifier de ce choix car je serai incapable de le faire. Ce que je sais, c’est que c’était une très bonne idée et je suis franchement heureux que treize ans après on ait réussi à la mettre en œuvre.

Douglas : Je dois vous dire qu’après cet éclair de Steven pendant le tournage de Traffic, j’avais complètement oublié cette idée. Cela n’a été que six ans plus tard car il a eu le livre de Scott entre les mains et que Richard LaGravenese a fait ce scénario absolument formidable et que Steven est revenu vers moi et m’a proposé ce cadeau qui pour moi était une bénédiction. J’étais malade du cancer. Je traversais cette épreuve et soudain qu’il vienne me dire que le scénario allait être produit par Jerry Weintraub et qu’il allait le réaliser et c’est Matt qui me donnera la réplique cela a été la petite lumière au bout du tunnel qui m’a donné une force d’inspiration et d’espoir absolument inattendue et qui m’a permis de savoir que j’aurai un film magnifique à faire une fois que j’aurai traversé ce tunnel. Cela a été une très grande chance et pour ce qui est de Matt c’est un cinglé du travail. Il n’est pas là aujourd’hui et je le regrette. Mais, je dois dire qu’il a fait un travail extraordinaire. C’est vraiment un travail à quatre mains que nous avons fait. Rien ne me revient seul. Je trouve que c’est un des acteurs les plus courageux et plus talentueux qui soit aujourd’hui donc je m’estime béni d’avoir pu participer à ce projet.

Q : Rétrospectivement quand on revoyait les rôles que vous avez pu jouer dans par exemple Attraction fatale et le type d’homme que vous incarnez, était-il envisageable pour vous d’incarner un figure bien moins viril ou c’est justement cela qui vous a permis cela ?

Douglas : Franchement, j’étais bien loin de pouvoir imaginer un jour cela. Mais je pense que cela n’est pas une affaire personnelle, c’est que l’époque a changé. Par exemple la France vient d’adopter la loi sur le mariage homosexuel. Les Etats-Unis l’ont fait juste avant. C’est dans l’air du temps. Cela permet aussi de nous exprimer et de traiter de sujets plus librement et de façon plus détendue. C’est en cela que je me compare vraiment avec Matt qui lui est au tout début de sa carrière virile. Le fait que lui ai pris ce risque-là, je me suis demandé si à son âge dans les années 70/80 si j’aurai pris ce risque-là. Il me semble que non pas seulement pour un choix personnel mais aussi qu’à l’époque ces choses-là se passaient dans le secret et que cela n’allait pas de soi de s’afficher et de donner une autre image de son identité masculine. Je pense en fait que la reconnaissance élargit votre éventail et le champ des possibles. Une fois que vous rencontrez un certain succès, une certaine reconnaissance, vous pouvez vous permettre de vous aventurer sur d’autres rôles, d‘autres pistes mais après vous prenez ce risque, vous faites ce choix ou pas. Certaines personnes décident de creuser le même sillon et d’autres non. J’admire beaucoup la carrière de Matt Damon qui met en profit cette reconnaissance pour se lancer dans des personnages et des rôles extrêmement différents.

Propos recueillis par Mulder, le 31 août 2013.
Avec nos remerciements à toute l’équipe de Le Public System Cinema
Vidéo et photos : Mulder