Entretiens - Mister Babadook : notre interview de Jennifer Kent

Par Mulder, Intercontinental Paris Le Grand, 04 juillet 2014

 
 
Q: Avant de parler de votre premier et excellent film Mister Babadook que j’ai adore, pourrait on revenir sur votre carrière afin de que notre public apprenne à mieux vous connaitre ?
 
Jennifer Kent: J’ai commencé à travailler pour être une actrice mais dès mon enfance, j’écrivais et filmais des courts métrages. Adolescente, j’ai décidé d’apprendre l’art dramatique et le métier d’acteur. Je suis allée en école de cinéma et je me suis découragée pendant cette période à passer derrière la caméra. Vous devez vous concentrer sur une seule chose à la fois. Mais le métier d’actrice m’ennuyait et petit à petit je me suis remise à vouloir passer derrière l caméra
 
 
Q: Lorsque j’ai découvert votre film, il m’a fait penser à des réalisateurs comme George Méliès, John Carpenter et David Lynch et aussi au livre de Stephen King Shining. Le travail de quels réalisateurs a été pour vous source d’inspiration comme scénariste et réalisatrice de votre livre ?
 
Kent: tous ceux-ci. Vous avez cité les bons. David Lynch pour son habilité à utiliser des abstractions et des rêves et de les mixer pour en faire quelque chose de beau. Cela m’a inspiré. J’aime aussi John Carpenter. J’ai aimé La chose, Halloween. Il fait des films efficaces. Je n’aime pas les films gore. J’aime également Alfred Hitchcock. Il était très méticuleux et maîtrisait parfaitement l’ambiance à travers l’utilisation de sons et musique.
 
Q: Depuis L‘antre de la folie, je n’ai jamais eu autant peur durant un film. Je comprends aisément que votre film a été noté  20/20 sur le site Rotten Tomatoes. Comment avez-vous réussi à créer un tel climat dans votre film ?
 
Kent: La chance. J’ai réellement essayé de connecter émotionnellement ce film et cette femme et tout ce qui gravit autour. Les choix que j’ai faits sont en rapport avec la vie émotionnelle et psychologique de cette femme. J’ai voulu donner l’impression que quelqu’un tentait peu à peu de vous étrangler de plus en plus jusqu’à ce que votre cœur lâche et vous explosiez. Le film explose comme une chose bizarre. Cela a été le rythme du film et je l’ai conçu comme un morceau de musique. C’est ce que j’ai ressenti pendant l’écriture et la production.
 
Q: Comment avez-vous choisi Essie Davis (Amelia) et Noah Wiseman (Samuel) pour jouer dans votre film ?
 
Kent: Essie est une amie de longue date. Nous sommes allées à la même école d’acteurs. Initialement je ne voulais pas prendre un ami car un réalisateur a besoin de définir clairement une relation avec son équipe. Il doit être en relation amoureuse mais pas dans une situation égalitaire. Il doit être capable de diriger une personne à travers une expérience difficile. Essie a auditionné et elle a été extraordinaire. Je pense cela car nous avons eu  peu de temps. Le fait de se connaître nous a aidés à rentrer directement dans le film. A l’opposé pour Noah ce fut différent. Il n’avait aucune expérience mais il a un instinct fort et il a aussi une empathie réelle pour Essie. Nous nous sommes bien préparés et nous avons pris trois semaines avant que la production démarre. J’ai raconté à Noah l’histoire de Babadook. Il l’a vraiment aimée et il a compris qu’il était le héros de celle-ci. Il s’est vraiment impliqué. Je lui ai présenté Essie après une semaine et nous avons joué à des jeux comme de l’improvisation pendant deux semaines et nous avons ainsi commencé le tournage. Les moments violents et agressifs dans le film, Noah n’y était pas présent. Nous avions un adulte pour ces choses. Noah est devenu un véritable comédien.
 
Q: Différents sujets sont abordés dans votre film comme la mort, la famille monoparentale, l relation entre une mère et son fils, la société du point de vue de l’enfance. Pour moi, votre film est plus qu’un simple film d’horreur. Que considérez -vous comme étant la volonté principale d’un bon film et la principale responsabilité d’un bon réalisateur ?
 
Kent: Je pense que la chose la plus importante est d’avoir son propre point de vue et réellement le connaître. Quelquefois vous ne savez pas quelle histoire vous souhaitez raconter. Pour moi, l’histoire que je voulais raconter était clairement déterminée. C’était important pour moi. C’est la raison pour laquelle je tenais à faire ce film. Cela revient à  faire un bon film quand un réalisateur a quelque chose à dire. Que vous soyez d’accord ou non importe peu. L’autre élément important est d’être honnête dans la manière de filmer
 
Q: Je pense que votre film est le meilleur film australien que j’ai pu voir depuis longtemps. Il signe la renaissance d’un genre qui a perdu ses maîtres de l’horreur. Pouvez-vous nous raconter de quelle manière a réagi le public en découvrant votre film ?
 
Kent: Nous avons eu un très bon retour en Australie malgré une sortie réduite. Ce fut une petite sortie en salles mais le public a répondu positivement. Les spectateurs n’y ont pas vu qu’un film d’horreur et ont répondu que c’était un très bon film. Cela nous a permis de distribuer le film à l’étranger
 
Q: Le film témoigne du fait que raconter une histoire d’un point de vue féminin est une approche différente et intéressante. Pourquoi avez-vous gardé la même approche entre votre court-métrage et votre film ?
 
Kent: Je pense que cela ne fut pas une décision intellectuelle mais plutôt instinctive. L’héroïne n’arrive pas à avoir une relation avec un autre homme ni avec elle-même. Ces éléments m’intriguaient et je voulais les explorer à travers un personnage complexe imparfait et à la recherche d’un homme.
 
Q: Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées sur ce film ?
 
Kent: il y en a eu plusieurs mais la plus difficile est d’avoir un enfant sur un plateau dans un tel film. Cette combinaison a été très stressante et aussi que nous filmions en studio. Je ne pouvais pas juste prendre ma caméra et aller faire quelques plans supplémentaires durant le week-end. Nous avions une grande lumière et nous devions tout préparer. Nous avons eu la chance d’avoir un réalisateur photo génial, un excellent costumier et une équipe si parfaite que le film semble réellement coûter plus cher que ce qu’il a réellement coûté
 
Q:  Que préférez-vous dans les films d’horreur, les plus psychologiques ou l’approche sanglante ? Pour vous en qualité de scénariste, ce film a-t-il été un moyen d’exorciser votre propre côté sombre ?
 
Kent: Oui à la dernière question. Il m’a aidé à exorciser mes démons intérieurs. J’ai vraiment rencontré un public qui avait le même ressenti. Pour moi, cela a été beau car vous mettez dans votre film quelque chose que vous croyez important et vous trouvez une audience qui y est sensible également. Cela m’a encouragé. Je préfère les films d’épouvante mais je regarde les deux. Peut-être que la plus importante expérience cinématographique que j’ai eu récemment remonte à deux semaines. Nous étions allés voir dans le cadre du festival du cinéma fantastique de Sydney dans un drive-in le film de Tobe Hooper Massacre à la tronçonneuse. Nous étions dans la voiture (van) d’un ami. Au moment où je me suis dit que cela serait bien qu’une personne déguisée en leatherface apparaisse, une personne déguisée est réellement apparue. Cela a été génial.  C’est un film très violent mais c’est l’un que j’aime beaucoup.
 
Q:  Quels sont vos projets en cours?
 
Kent : je travaille sur deux scénarios. L’un d’entre eux est un western au sujet d’une femme en Australie dans les années 20. C’est un film sur la vengeance et la violence, de nouveau d’un point de vue féminin.
 
Avec tous nos remerciements à Annie Maurette
Propos recueillis, vidéo, photo et transcription et traduction par Mulder