Entretiens - Interview Louis-Julien Petit (Discount)

Par Mulder, Paris, siège Guerrar & Co , 19 janvier 2015

 
 
 
Q : Vous êtes diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de Réalisation Audiovisuelle (ESRA) et avez  travaillé pendant plus de dix ans comme assistant mise en scène sur une trentaine de longs-métrages, à la fois français et internationaux. Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?  
 
Louis-Julien Petit : Je viens d’Aix en Provence. Au collège je faisais des courts métrages. Après, j’ai fait un lycée cinéma et audiovisuel en seconde et première option légère et puis lourde. J’ai passé un bac cinéma, ensuite j’ai tenté l’ESRA (Ecole Nationale Supérieure de Réalisation Audiovisuelle). Je l’ai fait, avec l’ESRA j’ai fait une convention de stage qui m’a permis de faire d’abord de la régie dans des cafés. J’ai fait cela pendant deux ou trois ans et après j’ai vraiment voulu faire de la mise en scène en étant assistant de mise en scène. J’avais fait un court métrage en dernière année de l’ESRA qui s’appelle Mes chers enfants avec Nicoletta, Didier Flamand, Olivier Baroult entre autres. Quand j’étais en parallèle assistant et en parallèle je faisais des stages de courts métrages, j’ai fait un autre court métrage qui s’appelait Enterrement avec Olivier Baroult qui est allé à l’Alpe d’Huez. J’ai pu le vendre. Du coup j’ai eu un petit peu de sous pour faire un autre film qui s’appelait Les figures avec Sarah Suco. C’est là où j’ai rencontré Sarah Suco. J’étais toujours assistant à côté et puis j’avais écrit Discount. J’ai signé Discount à 25 ans. J’ai eu cinq ans pour le faire. J’ai fait un long métrage indépendant avec mon appareil photo et Sarah Suco justement pendant deux ans entre Montréal et Paris. Voilà mon parcours
 
Q : Dans un contexte économique difficile, votre film dénonce non seulement le gaspillage alimentaire mais également des conditions de travail difficile dans un magasin hard discount. J’ai vraiment trouvé votre approche très réussie et intéressante et j’aimerai que vous me parliez de la conception de votre film autour de ces deux axes. 
 
LJP: Le film s’appelle Discount car je crois que tout le monde peut être discount. L’idée était de faire un film sur la rébellion positive, c’est à dire sur des personnages qui prennent leur destin en main à un moment donné, qui disent non à une société qui est pressurisée et qui trouvent une solution alternative. L’idée était de faire un film qui ouvre sur l’espoir d’une solution plutôt que de faire un film misérabiliste. Cela se passe dans le hard discount mais cela pourrait se passer un peu partout. Le milieu de l’entreprise est assez universel. Le gaspillage alimentaire est quelque chose qui est d’actualité mais le film je l’ai écrit il y a cinq ans donc c’est encore plus d’actualité. Il y a aujourd’hui un éveil de conscience. L’idée est que le film essaye modestement de faire l’interface entre des associations qui ont besoin de ces produits, (en tout cas il faut que ces produits profitent aux bonnes personnes) et les responsables de marques, d‘enseignes qui sont responsables de la qualité des produits. S’ils voulaient donner des produits cela leur coûterait de l’argent. Si le film arrive à faire interface entre les deux, entre les associations et les enseignes qui ont vraiment envie de donner cela serait super.
 
 
Q : La post-production de votre film a été financée par un financement participatif (méthode du crowdfunding). Pouvez-vous revenir sur la production de ce film et sur votre collaboration avec la productrice Liza Benguigui ?
 
LJP: Lisa a eu la folie de me faire confiance à 24 ans, comme quoi c’est possible. Elle m’a toujours dit, on ne lâche rien. C‘est ce qui est un peu dans le film. Je lui ai un peu dédicacé. On ne lâche rien et on va y arriver. La preuve je suis devant vous. L’idée était de faire un film ensemble. Elle s’est battue. Elle a été une acharnée puisqu’à 24 balais convaincre des chaînes, convaincre un distributeur, des coproducteurs cela été quelque chose. Cela a été énormément de travail et puis on se complète assez c'est-à-dire aux moments de doute, elle est là et quand elle doute je suis là. On est une équipe sur celui-là comme sur d’autres films. Elle m’a donné la plus grande des choses, la plus grande des confiances. Ce qui coûte très cher au cinéma c’est la liberté de faire le film que l’on veut faire. J’ai été dans une liberté folle. Pour parler du crowdfunding, elle a été à l’initiative de cela avec le responsable de Touscoprod (www.touscoprod.com) de faire quelque chose de plus social et d’entraide car justement on a réussi une campagne qui a fait 25400 euros. Ce n’est pas énorme par rapport au budget du film qui fait deux millions cinq cent mille euros mais on a eu des dépassements sur le montage, la musique. On a eu des problèmes de musique sur la fin. Cela nous a permis à créer un lien avec cent quatre-vingt-quatre coproducteurs personnes dont les figurants. Des gens nous ont aidés aussi sur le tournage. Ils étaient sensibilisés par rapport aux propos.
 
Q : Pouvez-vous nous parler de vos recherches afin d’étayer le sujet du film ? Avez-vous rencontré plusieurs personnes, glaner des informations sur le net ?
 
LJP: oui, pour être honnête j’ai eu énormément de fauteuils vides, des gens que j’ai essayés de contacter. J’ai eu pas mal de sources de renseignements dans le hard discount, les reportages, les documentaires. J’en ai vu beaucoup. Cela m’a permis de montrer là où la caméra est floutée, là où la caméra se baisse, c’est à dire ce qui se passe dans les bennes. Des sociétés très importantes ont montré cela. J’ai rencontré Anne-Marie Costa qui a été licenciée pour un vol de ticket promotion m’a montré non pas ce vol qui était important ce vol sordide et absurde, qui est le vol de mes personnages mais montré les solutions car elle a reçu énormément d’entraide et de solidarité, de messages de soutien. Elle a donné la tonalité. C’est là que j’ai voulu en faire une comédie car il faut rire de tout cela plutôt qu’en pleurer.
 
 
Q : Je trouve notamment la jeune comédienne Sarah Suco magnifique par sa pudeur et par sa présence électrisante. Comment avez- vous  travaillé avec votre directeur du casting David Bertrand pour choisir vos comédiens ?
 
LJP: tout d’abord, j’aimerai remercier David Bertrand  car c’est mon directeur de casting mais également depuis longtemps mon ami. Il a été chargé des figurants sur le film A l’origine de Xavier Giannoli. Je l’ai rencontré sur Paris Je t’aime sur lequel j’ai été assistant. On a vécu des moments assez forts ensemble. Sarah Suco ce n’est pas lui qui me l’a présenté. C’est avec Anais Roumain qui était une directrice de casting mais qui gère aussi la régie. Elle fait plein de choses comme sur les courts-métrages. On est assez multitâche. Elle m’a présenté Sarah et je ne l’ai pas lâchée. Sarah a fait mes courts. Corinne Masiero, je l’ai rencontré sur A l’origine. Je l’avais vu sur un court métrage de Fabrice Maruca qui s’appelait Surprise ! J’ai été bluffé dans Persécution, La vie rêvée des anges. Elle m’avait déjà marqué. J’avais envie de travailler avec elle depuis longtemps. Elle devait faire Les figures avec Sarah mais j’ai décalé le tournage d’une semaine et malheureusement je l’ai perdu. Du coup, je lui avais promis que l’on allait faire un autre film ensemble la preuve. Je suis heureux. M'Barek Belkouk s’est imposé aussi avec Olivier Barthelemy. J’avais envie de créer une famille. J’avais vu notre jour viendra. J’avais vu Sheitan avec Olivier et il m’avait assez bluffé par sa prestation. M'Barek pareil, j’avais vu La marche et Les profs. Je le trouvais dans La marche vraie. Je ne sentais pas le jeu mais l’instinct. Zabou Breitman a toujours été là. Elle m’a toujours soutenu. C‘est la première personne qui a été dans le film. Il y a eu Pascal Demolon qui a été une vraie rencontre grâce à David Bertrand là aussi. Pascal avait passé des essais pour le rôle de Gilles mais quand je l’ai vu, j’ai su que c’était Alfred. On a travaillé ensemble sur ce personnage. On l’a rendu fort et beau. Je voulais qu’il y ait un héros et un leader. Je voulais que Gilles soit le leader et qu’Alfred soit le héros.
 
Q : Comment s’est déroulé votre tournage dans la région Nord-Pas-De-Calais et pourquoi avez-vous fait le choix de cette région ?
 
LJP: On n’ a pas tourné que dans le Nord-Pas-De-Calais mais aussi en Picardie. Le Hard-discount est tourné en Picardie. Quand j’étais assistant, je travaillais avec la figuration. Je m’étais en scène la figuration. J’ai travaillé un tout petit peu sur Bienvenue chez les Ch’tis mais paradoxalement je l’ai fait dans le sud et très peu dans le Nord, surtout essentiellement dans le sud mais il y avait une viracité de figu (ndr figurants) et j’ai fait A l’Origine de Xavier Giannoli pour lequel j’ai passé vingt et une semaines à Cambrais. J’y ai rencontré des figurants avec toute l’authenticité et la simplicité de cette région. J’avais envie de tourner là-bas notamment pour cela mais aussi pour le ciel, les lumières que l’on trouve.
 
 
Q : Quelle scène a été pour vous la plus difficile à tourner ?
 
LJP: Je n’en ai pas qu’une. Rien a été difficile mais ce qui est épuisant pour moi c’est que je suis tellement connecté à Sarah Suco, proche d’elle dans le jeu que j’ai l’impression qu’elle parle pour moi. Je suis très interactif sur le film. Je pleure, je ris, je cours, je hurle. J’ai l’impression d’être le premier spectateur de mon film. Quand je regarde mon combo, je dois ressentir ce que ressent le personnage sinon j’essaye de l’orienter. Les deux scènes avec Sarah Suco, celle avec la nounou et la scène dans le groupe quand cela pète un peu. Cela n’a pas été dur à tourner, cela a été émotionnellement compliqué. Il y a aussi une scène où on s’est enfermé avec Corinne Masiero pendant dix minutes qui n’est pas après l’avoir tourné intégré dans le film mais qui sera dans les bonus de scènes coupées. C’est une scène dans laquelle le personnage de Christiane était confronté à des huissiers chez elle qui venaient l’attraper et la dérober. Ils vidaient la maison. En fait, la seule solution était de monter dans la chambre d’Emma et de prendre l’argent, voler les trois mille euros. Elle le faisait en pleurant car il y avait des photos du gamin d’Emma partout qui la regardait entrain de faire cela. Cela a été très dur. Je pleurais. Elle et moi n’étions pas bien du tout. C’était bouleversant. 
 
Q : Votre film a été récompensé par le Prix du Public au Festival du Film Francophone d'Angoulême. Pouvez vous revenir sur l’excellent accueil reçu lors de ce festival ?
 
LJP: Je vais revenir dessus car j’en suis très fier. La première fois où on est arrivé à Angoulême c’était l’ouverture du festival. C’est  Dominique Besnehard à qui on le doit et aussi à son associé qui nous ont sélectionnés. On était un peu outsider. Il l’avait vu sur un DVD un peu pourri à ce moment-là. On est sélectionné là-bas. On y va. Il y avait le film de Tonie Marshall en face. En terme de presse, on était largué total. Je pensais qu’il n’ y avait personne. On est allé à pied, les rues étaient vides. On rentre dans la salle de cinéma et il y avait quatre cent personnes. Il y a eu tout de suite un engouement fort. Le lendemain, mes parents sont venus d’Aix-en-Provence pour aller voir le film pour la première fois. Zabou c’était la première fois qu’elle le voyait et Pascal aussi. Là, il y a eu un truc fou, des applaudissements, c’était vraiment chouette et beau. C’était quelque chose de fou, d’agréable. J’étais ému. On a bloqué la salle, le public venait me voir, criait dans la rue Solidaire. On est revenu à Paris le dimanche et on avait les résultats le mardi matin. J’ai très mal dormi pendant deux jours. J’ai senti qu’il s’était passé quelque chose avec le public. C’est mon premier film, première production, première présentation dans un festival, première rencontre avec le public et on a le prix du public. C’est le festival qui est dédié au public. Pour moi, cela a été beau et chouette.
 
 
Q : Quels films qui ont été une source d’inspiration pour bâtir votre film ?
 
LJP: Le pigeon, The Van, Les virtuoses, The Full monty, Little Miss Sunshine. Il y en a eu plein, tous les films de Ken Loach. Pour moi, c’est le maître sacré. J’aurai aimé être sur le vélo dans Jimmy's Hall. Il parait que c’est son dernier film. Je crois à tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait. Je crois que le combat dépasse l’individu. Dans les Ken Loach des années 90-2000 il est devenu de plus en plus militant. Pascal Demolon avait joué dans Land and Freedom. C’était beau d’avoir un acteur qui avait joué.  
 
Q : J’ai beaucoup apprécié la tonalité de votre film et le refus d’un happy end trop facile. Pour vous quel rôle doit avoir le cinéma dans un contexte social ?
 
LJP: Je crois qu’un film doit être militant. Le fait de le faire, c’est déjà militant. Autant avoir du sens. Quand je vais au cinéma, je suis plus spectateur que cinéaste. C’est mon premier film. J’ai vu plus de films que j’en ai fait. Cela c’est clair. Je n’ai pas envie que l’on me juge. Je n’ai pas envie que l’on me donne de leçons mais j’ai envie de passer un bon moment, d’être diverti et de me faire ma propre idée de la fin. Encore une fois, je crois que le combat d’un film, des personnages dépasse leurs conditions. Je ne vais pas dévoiler la fin…
 
 
Q : Quels sont vos projets en cours ?
 
LJP: J’en ai plein. Je vais faire un unitaire pour Arte qui parle de la souffrance au travail entre autre et des rébellions que l’on peut en avoir. J’adore les rébellions positives, les contextes graves. Les gens qui les prennent et qui en font quelque chose d’intéressant.  
 
Q : Avez-vous un mot à dire sur la liberté d’expression des médias en général, nous avons en effet découvert votre film en projection privée le lendemain du mercredi 07 janvier?
 
LJP: Je crois que tout le monde a le droit de dire ce qu’il pense. Après il faut l’accepter. Je crois que les forces d’opposition sont intéressantes pour un débat. Je suis juste réalisateur pas politicien. Ce qui est dommage est de passer par un tel  événement dramatique pour pouvoir voir un beau rassemblement. J’ai été comme tout le monde traumatisé pendant ces trois jours. L‘insécurité, la folie, l’extrémiste tel qu’il soit c’est fou. Je suis juste réalisateur, j’ai envie d’être attiré par le positif. J‘ai envie de retenir majoritairement ce qui s’est passé le dimanche. Cela c’est beau. C‘est un débat qui est assez complexe pour en parler comme cela. Cela pourrait durer des heures et il faudrait des réponses autour. Continuons à écrire, à dessiner, à faire des films. Il est triste qu’en faisant cela on se mette en danger.
 
Avec nos remerciements à Natacha Campana de l’agence de communication Bubblingbulb. Textes recueillis, transcription et vidéo : Boris Colletier / Mulderville