Entretiens - Peter et Elliott Le Dragon : Notre interview de Jared Krichevsky

Par Mulder, Los Angeles, 22 août 2016

Q : Bonjour, nous avons beaucoup de questions à propos de votre travail sur le film de David LOWERY, Peter et Elliot le Dragon. Pouvez-vous nous dire si vous connaissiez le film original de Don CHAFFEY avant de travailler sur ce projet ? Que pensez-vous de ce film?

Jared Krichevsky: Je connaissais ce film quand j’étais enfant mais j’étais vraiment trop jeune pour l’apprécier. Ma sœur a grandit en le regardant alors elle préfère cette version. Mon souvenir du film était très minime, alors j’ai dû le regarder à nouveau pour me rappeler de quoi cela parlait. Je fais toujours beaucoup de recherches en amont pour chaque projet, ce qui comprend de regarder les films originaux, de chercher n’importe quelle histoire sur le projet qui pourrait exister, recueillir n’importe quelle donnée scientifique si elle existe. C’est d’autant plus utile avec un reboot ou un remake parce que je pense qu’il est important de comprendre l’origine de ce sur quoi vous travaillez. J’ai donc de nouveau regardé la version originale de 1977 de Peter et Elliot le Dragon pour des recherches et quand on le regarde aujourd’hui on voit qu’il a beaucoup vieilli et certains points du scenario sont bizarres, comme cette bande de rustres cannibales qui chantent toute une chanson sur leur envie de faire bouillir Peter dans un ragout et de le garder comme esclave. C’était vraiment très étrange pour moi mais j’ai vraiment adoré Elliot le Dragon et sa relation avec Peter. Le dragon lui-même a tellement de personnalité et était magnifiquement animé alors j’ai fini par essayer de prendre un maximum du caractère de l’original et tenté de l’intégrer dans la nouvelle version.

Q : Comment était-ce de travailler avec David LOWERY sur le concept design d’Elliot le Dragon?

Jared Krichevsky: Travailler avec David était vraiment une excellente expérience, il est réellement le genre de réalisateur avec lequel vous voulez travailler car il était très curieux d’apprendre le processus et de le voir par lui-même. Il avait une vision très précise de ce qu’il voulait et, bien que je n’aie travaillé avec lui en personne qu’une seule journée, j’ai été capable de voir sa vision et j’ai vraiment été rattrapé par l’histoire. Le film que j’ai vu était exactement tout ce que j’espérais et souhaitais qu’il soit, un très beau conte à la voix douce sur un garçon et son dragon. J’espère voir plus de films de David à l’avenir.

Q : Quelles ont été les principales difficultés rencontrées pendant que vous travailliez sur le design du dragon?

Jared Krichevsky: Je pense qu’il s’agissait surtout de découvrir le personnage, parce qu’il devait exprimer beaucoup de chaleur et de personnalité mais il devait également être sage, espiègle et nourricier. Je pense qu’il y a eu plusieurs versions que j’ai faites pour lesquelles j’étais sur la bonne voie mais que je n’avais pas encore fait mouche. Mais quand j’ai dépassé ce stade, j’ai eu le sentiment que je devais honorer le design original et lui apporter plus d’éléments du monde réel. Ce qui revient à dire qu’il a fallu véritablement observer le design original et essayer d’apporter plus d’éléments anatomiques d’animaux du monde réel pour le faire plus réaliste. Les couleurs ne devaient pas être trop offensantes, c’est pourquoi nous nous sommes débarrassés du rose et des cheveux colorés de l’original. Il devait être comme s’il allait se fondre dans la forêt, comme si vous le cherchiez, qu’il était pile en face de vous mais que vous ne le remarquiez même pas. Mais il y a toujours d’autres façons d’honorer le design original, comme le gros ventre rond ou les pointes que nous avons transformées en pavés ronds, la mâchoire inférieure avec la dent ébréchée. Dans le dessin animé, les ailes étaient vraiment minuscules, ce qui ne pose pas de problème pour un dragon animé mais dans le monde réel avec les lois de la physique nous devions faire des ailes à l’échelle pour supporter le poids d’une créature de cette taille.

Q : Quelles ont été vos sources d’inspiration pendant que vous travailliez sur le concept et le design du dragon?

Jared Krichevsky: Tout d’abord, vous devez regarder ce qu’est un dragon, un livre qui m’a beaucoup influencé étant enfant est « Le Livre du Dragon» de Ciruelo CABRAL. Le livre comprenait beaucoup d’images de la vision des dragons que nous avons aujourd’hui. Mais les premiers mots que j’ai entendu de mon directeur artistique étaient que le dragon allait être un mammifère, ce qui, j’ai pensé, était quelque chose de vraiment unique et que nous n’avions jamais vu auparavant. J’ai alors observé beaucoup de mammifères comme des éléphants et des rhinocéros mais aussi des ours et des loups parce qu’ils peuvent projeter beaucoup de chaleur, et donc, certaines des versions que j’avais faites reflétaient cela. Après avoir fait beaucoup de recherches, j’ai découvert qu’il n’y avait pas beaucoup de dragons à fourrure dans la mythologie. Les dragons asiatiques ont des barbes ou des crinières et parfois ils ont de la fourrure qui longe le milieu du dos. Il n’y a pas beaucoup de films ou de séries avec des dragons à fourrure, à part Falcor, le dragon de la chance de L’Histoire Sans fin mais même Falcor a des écailles sur son bas-ventre. Il y a les chimères mais elles sont la combinaison de plusieurs animaux alors je ne pense pas que cela compte en tant que dragon. Nous pensions alors vraiment à quelque chose de nouveau, et en lisant les commentaires des gens quand la bande-annonce est sortie, beaucoup de personnes ne pensaient pas qu’un dragon devait avoir de la fourrure mais il y en avait d’autres qui le pensaient. Heureusement, voir le film a changé leur opinion. Après tout, les dragons ne sont pas réels, ils peuvent ressembler à ce que nous voulons !

Q : Avant de travailler sur le concept design pour ce dragon, aviez-vous déjà travaillé sur d’autres dragons? Que préférez-vous et détestez-vous dans le processus du design?

Jared Krichevsky: J’ai travaillé sur quelques dragons çà et là, mais certainement pas aussi grand qu’Elliot! Normalement, les dragons sont plutôt difficiles, surtout à cause de leurs ailes et de leur taille ce qui peut parfois être un tracas et enfin le challenge de créer un dragon que les gens n’ont pas vu un millier de fois. Game of Thrones et Harry Potter ont déjà de nombreux dragons iconiques et « Le Règne du Feu » avait des dragons qui étaient parmi les meilleurs apparus sur un écran. Je savais que faire Elliot différemment serait un challenge. Je pense que le processus de design peut être particulièrement chargé en émotion si vous n’y êtes pas préparé. Vous essayez de satisfaire des personnes qui vous mettent la pression pour finir le travail, vous essayez de faire de votre mieux pour leur donner quelque chose de nouveau et cela peut être véritablement difficile. Certains jours, vous avez vraiment la sensation que tout a déjà été fait avant. D’autres jours, vous vous sentez au top niveau et d’autres jours encore, vous grattez les tréfonds du désespoir ; personne ne vous prépare réellement à ce genre de chose et il devient d’autant plus important d’apprendre à gérer vos émotions et vos attentes. C’est aussi difficile quand le client ne sait pas ce qu’il veut, vous pouvez lui donner quelque chose de cool mais s’il n’est pas sûr de ce qu’il veut ou qu’il fait des allers-retours sur plusieurs idées cela peut très certainement éprouver votre patience. Mais chaque client est différent et chaque voyage dans le design est différent et je pense que c’est cela qui rend ce travail si amusant et unique, chaque travail est une montagne à escalader et à conquérir, parfois c‘est facile et d’autres fois, c’est très très difficile. Il y a aussi une certaine agitation lorsqu’un projet sort parce que vous ne savez pas si votre design aura changé avec le passage sur le grand écran. Mais quand vous voyez votre design à l’écran (après 2/3 ans d’attente !), il n’y a pas de sentiment identique au monde.

Q : Elliot est un dragon géant et il est complètement différent de celui que nous avons connu avec le film original. Il est plus réaliste et son design donne au film une grande force. Quels sont vos sentiments par rapport au travail de WETA depuis votre concept design?

Jared Krichevsky: Je suis vraiment heureux que vous pensiez qu’Elliot est une grande force, je le pense aussi. Tour le mérite en revient à WETA VFX pour avoir amené Elliot à la vie. Dans le design, tout ce que vous pouvez faire est de déterminer le look de la créature mais l’animation et les sentiments donnent véritablement un cœur et une âme à Elliot. Vous vous souciez de lui et c’est grâce au brillant travail de toutes ces personnes créatives et talentueuses. Parce que sans cela, les gens n’ont pas de lien mais beaucoup de mes amis et de ma famille m’ont dit avoir pleuré en regardant le film parce qu’ils pouvaient s’identifier à Elliot, il a capturé leurs cœurs et c’est quelque chose d’incroyablement difficile à faire. Voir le film donne envie aux gens de rentrer chez eux en courant pour serrer leurs animaux dans leurs bras grâce à toutes les petites touches qu’ils mettent dans le film. Pour avoir été formé aux VFX, je comprends à quel point la création d’un personnage numérique est difficile et ensuite, obtenir de ce personnage qu’il s’asseye, avoir l’impression qu’il est face à vous… Les gens pensent parfois que nous appuyons seulement sur des boutons, comme s’il y avait un bouton magique « créer un dragon » mais c’est tellement plus que cela. Il y avait beaucoup de scènes où j’étais fasciné par la lumière, les textures de ses paupières ou de ses lèvres, où j’ai apprécié le poids de ses pattes qui frappent le sol. J’ai absolument adoré son air maladroit, barbotant comme s’il nageait dans le ciel ou les petites choses comme ses oreilles qui se tournent et ses reniflements. C’était vraiment un travail bluffant, j’ai lu que cela avait pris quelque chose comme 18 mois pour le créer et le rendu de sa fourrure, pour un plan, a pris deux jours. C’est véritablement extraordinaire à chaque niveau technique et cela a été démontré. C’est pour cela que nous faisons ce métier, pour créer ce lien émotionnel. Tout ça pour dire à quel point j’ai été terrassé par le cœur et l’âme que WETA a mis en Elliot.

Q : Quel logiciel utilisez-vous pour votre travail de design (ZBrush ou un autre) ? Utilisez-vous le même logiciel pour chaque projet ou cela dépend-il du concept design souhaité?

Jared Krichevsky: J’utilise principalement les 3 grands, qui sont ZBrush, Keyshot et Photoshop pour tous mes designs. Je trouve qu’utiliser trop de programmes peut encrasser le processus et ralentir la vitesse, si vous le pouvez, faites avec peu mais bien. Cela aide aussi à comprendre que derrière quelques différences clés, la plupart des programmes parlent un langage très similaire et qu’ils ont chacun leurs propres bizarreries. Mais j’ai utilisé le même process depuis ces 6 dernières années et j’ai appris que bien que le process reste le même, VOUS changerez, vos pensées changeront, vos influences changeront et avec l’âge vos goûts changeront mais le process sera toujours le même. Vous devez être enclins à grandir avec votre art et de ne pas le forcer à sortir de vous. Entraînez votre esprit et exercez votre discipline dans le process, rayez chaque traits négatifs qui pourrait retenir votre travail comme la défaite, la distraction ou la paresse.

Q : Pouvez-vous nous parler de votre travail à ASC studio?

Jared Krichevsky:J’ai travaillé pour Aarons SIMS depuis que j’ai réussi à obtenir un stage avec lui en allant à l’école Gnomon, combinez à cela 7 ans et demi de design et de VFX. Pendant que j’apprenais, j’ai fais un petit peu de tout, du montage à l’animation en passant par l’éclairage. C’était un processus très exploratoire et je me suis finalement décidé pour le design quand j’ai commencé à me concentrer sur ce que je voulais vraiment. En général c’est un environnement très détendu et amusant avec des groupes de personnes très talentueuses, créatives et drôles. La meilleure partie de ce travail, c’est de plaisanter avec mes collègues. Nous avons tous un sens de l’humour assez tordu et nous faire rire les uns les autres est certainement le meilleur moment de la journée. Parfois, quand vous avez un projet stressant, cela permet de soulager la pression avec humour. C’est un endroit plaisant pour travailler. Aaron a beaucoup de connaissance avec ses 30 années d’expérience et il a une grande sagesse. Il a une perspective unique et créative et il nous surprend toujours avec ses idées, alors je suis très chanceux de faire ce métier aussi longtemps que je le pourrai et d’apprendre de cet homme. La meilleure partie est évidement de concevoir, de créer et de parler de monstres toute la journée, cela ressemble vraiment à un rêve parfois. Pour moi, m’assoir et entrer dans la zone créative peut être un processus très zen et méditatif et le temps s’envole. Il me semble qu’il a été estimé que j’ai travaillé sur une centaine de projets depuis que je suis ici et je ne l’ai pas cru quand ils me l’ont dit, j’étais « hors de question, ce n’est pas possible ». Mais c’est ce qui arrive quand vous adorez ce que vous faites. Maintenant, en tant que superviseur de créature et de personnage, j’ai l’opportunité d’entraîner et de conseiller les nouveaux artistes sur le chemin des monstres ; quand vos amis commencent à clouer de grands personnages, c’est très gratifiant de les regarder grandir. Certaines personnes peuvent se sentir menacées par les nouveaux talents mais je pense qu’ils nous aident à nous dépasser et nous forcent à grandir dans notre propre travail, il y a beaucoup à apprendre les uns des autres.

Q : Quels sont vos films Disney préférés et pourquoi?

Jared Krichevsky: Grandir dans les années 90 c’était grandir à la période des meilleurs projets animés de Disney et je les ai tous vu. Puisque je pensais travailler dans l’animation depuis que j’étais enfant, j’ai passé beaucoup de temps à dessiner les personnages Disney, je me rappelle clairement qu’un de mes premiers dessins était Sébastien de La Petite Sirène, mes parents étaient si fiers que je l’ai dessiné qu’ils en ont fait des copies et les ont accrochés partout dans le cabinet médical de mon père. C’était la première fois que j’ai appris que faire de l’art peut vous attirer de l’attention. Mes films Disney préférés sont Aladdin et Le roi Lion pour les chansons et la musique qui étaient exceptionnels et entrainants, avec la meilleure animation et les meilleurs personnages : j’étais accroché. Très proches, à la 3ème et 4ème places, la Petite Sirène et La Belle et la Bête. Tous des projets animés exceptionnels. J’ai maintenant un nouveau film favori avec Peter et Elliot le Dragon mais je suppose que je suis un peu influencé...

Q : Pouvez-vous nous en dire plus à propos des projets sur lesquels vous êtes actuellement en train de travailler et sur ceux qui vont bientôt démarrer?

Jared Krichevsky: Je ne peux commenter aucun des projets sur lesquels je travaille actuellement mais je suis très excité d’avoir travaillé sur “Ready Player One” de Steven SPIELBERG, ayant lu le livre, c’était détonnant de prendre part à ce monde et je pense aussi qu’il véhicule un message poignant sur le pouvoir de la technologie et comment il peut nous consumer. J’ai aussi travaillé sur le reboot de « ÇA » de Stephen KING en faisant les design de maquillage pour Pennywise, c’est très excitant de prendre part à cela puisque j’adore le genre horrifique et prendre part à ce monde dérangé était très attirant. Je suis très excité de voir comment ces deux films vont marcher.

Avec tous nos remerciements à Jared Krichevskypour avoir répondu à nos questions et à Chase pour son aide précieuse

Traduction : Earina
Photos : Aaron Sims Creative

On tient également à remercier tous les artistes d’Aaron Sims Creative qui ont participé à la création de ces images et de ce passionnant projet

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