Master-Class - Luc Besson

Par Mulder, Paris, 14 octobre 2013

Présentatrice :

Q : j’aurais voulu savoir comment vous avez réussi à convaincre Robert De Niro de jouer dans le film et le fait de le diriger ?

Luc Besson : c’est assez simple en fait. Pour convaincre un acteur, il faut que le script lui plaise. Il y a beaucoup de littérature que l’on voit dans les journaux etc. En fait, il n’ y en a pas. L’acteur a son propre chemin à lui. Il y a des choses qu’il a déjà faites, des choses qu’il n’a pas faites, des choses qu’il a envie de refaire. Quand il sort de trois films rigolos, il n’a plus envie de faire des films rigolos. Quand il a fait des films tristes, il ne veut plus faire de films tristes. Il y a une trajectoire d’acteur et puis vous, vous arrivez avec un script, une espèce de concept comme cela vous croisez sa trajectoire et cela lui convient et il vous dit c'est super allons y ou sinon il vous dit qu’il n’a pas envie de faire cela en ce moment. C’est assez sain en fait. Il n’y a pas le script est bon ou pas bon ce n'est pas tout à fait comme cela que cela se passe. Des fois, il y a des acteurs qui vont sur des scripts pas forcément très bons mais ils aiment bien l’idée et après ils bossent avec le metteur en scène ou les auteurs pendant un an et il devient bon mais cela lui plaisait bien au début. Cela se fait un peu,c’est de la cuisine.

Q : est-ce que l’expérience de diriger Robert De Niro est à la hauteur de ce que vous attendiez ?

Besson : oui, c’est même au-dessus.

Q : cela doit faire quelque chose ?

Besson : en fait, plus ils sont bons, plus c’est facile.

Q : cela faisait il longtemps que vous vouliez faire un film sur la mafia ?

Besson : sur la mafia, non pas spécialement. En fait, j’avais proposé à Robert de faire Léon à l’époque et cela ne s’était pas fait mais on est toujours resté en contact depuis 25 ans. On s’est toujours dit qu’on aura bien voulu travailler ensemble mais après il faut trouver. Ce n’est pas facile.

Q : Justement, quelle scène avez-vous préféré faire avec lui sur ce film ?

Besson : la scène du cinéma. Le sourire qu’il fait quand il regarde le film. J’étais juste content de faire le film juste ce sourire-là. Lui, en train de se regarder, en train de regarder le film Les affranchis avec son sourire.

Q : Lui avez-vous réellement projeté le film pendant le tournage ?

Besson : uniquement la bande-son, pas le film.

Q : saviez-vous dès le départ que vous vouliez un gros plan sur lui, à la lecture du livre ?

Besson : ce n’est pas un gros plan c’est un travelling avant léger. Il faut avancer doucement sur lui. Cela renforce sa béatitude.

Q : c’est vrai que l’on a le même sourire que lui à la limite de le voir jubiler

Besson : oui, c’est d’avoir eu la vraie voix. La fameuse phrase :” I’ve Always wanted to be a gangster”. On a la vraie voix du film de Scorsese donc c’est drôle.

Q : quel a été l’apport de Martin Scorsese sur le film vu qu’il est le producteur exécutif du film ?

Besson : en fait, au tout départ, je ne me sentais pas moi de faire le film si cela ne lui plaisait pas. C’est une telle déclaration d’amour à lui quand même. Cela ne peut pas se faire sans lui. Ce n’est pas possible. Il y a Robert. Cela parle de son film où cela le fait rire. On a commencé à lui faire lire et cela l’a fait beaucoup rire. A partir de là il était on board.

Q : du coup vous avez réussi quand même à réunir trois acteurs qui n’avaient jamais joué ensemble. Tommy Lee Jones et Robert De Niro n’avaient jamais joué ensemble, Michelle Pfeiffer non plus. Est-ce que quand vous les avez contacté ce sont des acteurs qui se sont dits super et cela me plaît encore plus que l’idée du film de jouer avec les autres ou c’était l’ensemble ?

Besson : Robert je lui ai envoyé le livre d’abord. C’est un peu comme Martin. S’il n’y a pas Robert, c’est vraiment pour lui. Je lui ai envoyé le livre en lui disant si il te plaît on écrit le script.

Q : sans lui vous ne l’auriez pas fait ?

Besson : je ne suis pas sûr non. De toute façon ce n'était pas moi le metteur en scène au début. Il n’y avait pas de metteur en scène. J’étais là pour l’écrire seulement. Robert a lu le bouquin. Il a dit c’est super donc j’ai écrit le script. Après je lui ai envoyé le script. Il m'a répondu c'est super. Après le fait. Je suis venu avec une liste de metteur en scène. Il disait oui, peut-être, je ne sais pas, il faut voir, celui-là non. On avançait, après il a dit cela sera bien que l’on fasse une lecture. J’ai dit oui. On est parti à New York. Une lecture c’est quelqu’un qui fait la narration, type scène un extérieur jour : par exemple ils entrent dans la maison et après dès qu’il y a le dialogue on prend des acteurs qui ne sont pas forcément ceux du film qui viennent lire chacun. Une lecture avec Robert De Niro c’est assez rigolo parce qu’en fait il y a Harvey Keitel, la moitié des Sopranos. Il invite tout juste tous ses potes pour faire une lecture. C’était la première fois que je voyais une lecture comme celle-là. Ils ont lu le film en temps réel. La lecture a fait à peu près 1h45 et on se bidonnait pendant toute la lecture tant que cela était drôle. En plus, tous les acteurs essayant de jouer et de se montrer un peu quand même. Ce jour-là, je me suis dit que j’avais envie de le faire. Là, j’ai commencé à dire que les metteurs en scène n’étaient pas les bons. Après, il y a Michelle Pfeiffer qui est arrivée sur le film et qui a dit oui assez vite. Après il y a aussi Tommy qui a dit oui et là j’ai proposé de faire le film. C’est d’ailleurs lorsque je me suis proposé que j’ai vu son sourire que je me suis rendu compte qu’il se foutait de ma gueule car il savait dès le début que j’allais faire le film. Il est très malin. Il faisait tout sans le dire. Il n’est pas venu directement en disant que je pouvais le faire.

Q : cela ne vous a pas taquiné dès le départ d’envoyer quand même un livre à Robert De Niro alors que vous n’aviez pas éventuellement envisagé de faire le script et que vous n’aviez pas pensé dès le début à réaliser.

Besson : la partie que je préfère c’est celle-là. J'adore écrire, trouver les gens. Cela se mélange il va y avoir un réalisateur. J’aime bien partager. Les jeunes metteurs en scène cela me plaît. J’aime bien partager. Je ne suis pas sur moi moi moi, je veux faire un film. Au début cela me va très bien. Il y a l’envie et à un moment donné, il y a des films où je ne me sens pas forcément meilleur pour le faire. Je pense qu’un tel ou un tel le ferait sûrement mieux que moi. Il y en a où je me dis que je peux amener personnellement quelque chose. Celui-là, l’action du film se passe à huit kilomètres du lieu où j'habite. Je connais bien le coin.

Q : Est-ce volontaire ?

Besson : non mais cela s’est passé comme cela. Je suis allé plusieurs fois aux États-Unis depuis trente ans maintenant. Je connais quand même bien comment ils sont et je connais quand même bien la Basse-Normandie. Donc, j’étais quand même bien placé pour faire la part des choses entre ces deux mondes et bien veiller à ce qu’il soit ridicule aussi bien les uns que les autres pour qu’il n’y ait pas de déséquilibres se moquer un peu des américains et un peu aussi des français.

Q : peut-être aussi de la manière où chacun se voit. À écouter l’accent anglais des personnages français qu’ils ont, on a impression qu’il s’agit de celui que les Américains imaginent que l’on a quand on parle anglais.

Besson : non c’est vraiment l’accent qu’ils ont les Français.

Q : avec ce r prononcé tout le temps par certains acteurs ?

Besson : lequel acteur ?

Q : .. Non tout le temps. On a l’impression qu’ils insistaient sur les r. Je croyais que c’était fait exprès

Besson : non je ne parle pas de Paris mais la Basse-Normandie c’est leur façon de parler. Par exemple, le monsieur qui est dans la superette est belge. Lui, c’était encore plus compliqué.

Q : justement, comment on gère une équipe de tournages à l’américaine entre guillemets qui débarque dans un petit village en France, en Normandie. Cela se passe t’il bien avec le public dans le village ? Les gens sont-ils curieux ? Comment on vous a accueilli ?

Besson : je crois que chaque tournage est différent. Il faut surtout étudier où on va, , comment cela se passe, comment sont les gens, comment sont les acteurs et après essayer de trouver, il faut se déplacer un peu en fonction du meilleur compromis en fonction de ce qu’il y a. Je ne sais pas comment expliquer cela.

Q : j’ai lu quelque part en fait que comme vous étiez à côté de chez vous les acteurs avaient quasiment vécu chez vous en fait pendant le tournage.

Besson : c’est vrai en fait. Le tournage a duré douze semaines.

Q : est-ce une espèce de famille pendant douze semaines ?

Besson : oui c’est super, on mangeait tous à la maison. Je fais très bien les pâtes à la crème. Pour ce genre de film il vaut mieux essayer de partir vers cela. Tout se passe dans une petite maison, un petit village. Il faut qu’ils prennent l’esprit du truc. On ne se déplace pas. Même en terme d’éclairage, les équipes ne sont pas très grosses. On était dans une petite ville, il y avait un café à côté qui est devenu l’annexe. Il y a plein de gens du village qui sont dans le film. Il faut juste s’adapter bien. Il ne faut pas arriver comme des stars car cela peut tout casser. Un moment donné, sur la place du marché il y a tracteur qui passe. Il y est resté quinze jours le mec. (prenant l’accent paysan), je suis là avec tracteur. Restez là c’est bien, restez là. Après il venait vraiment tous les jours. Ils venaient sur le tournage mais ce n’est pas grave, on le laissait faire. Il venait à côté de la caméra en disant que c’est bon. Il y a une obligation un peu de désacraliser le tournage. Il ne faut pas non plus descendre trop bas car là il me tape sur l’épaule. Il faut que cela soit accessible, normal. On fait juste un film, c’est bon.

Q : j’aime la façon dont vous remettez cela à un niveau très accessible, très terre à terre.

Besson : faire un film c’est comme être dans la cuisine. Le côté un peu apparat c’est la salle. Il y a une petite musique douce, des couverts en argent. Dans la cuisine, c’est le boxon.

Q : j’ai une question qui est liée au film mais pas vraiment en même temps. J’ai remarqué que dans beaucoup de vos films, le héros ou l’héroïne est décalé, c’est un outsider, il n’appartient pas ce monde. J’aimerais donc savoir d’où vient cette attirance pour les outsiders ? Comment se sont passés vos débuts en tant que cinéaste ?

Besson : là en fait, il y a plusieurs questions. Dans les films, je ne sais pas, je fais cela assez naturellement. Je pense que ce qui m’intéresse généralement chez les femmes dit sexe faible c’est leur point fort et ce qui m’intéresse généralement chez l’homme, dit homme fort c’est leur point faible. C’est vrai que je suis assez intéressé pour voir des femmes qui même si elles ont frêles elles sont en fait très fortes et l’inverse. Ce qui m’intéresserait chez Schwarzenegger c’est qu’il se mette à pleurer parce que sa mère lui manque. Cela, ça m’intéresse. Par contre, si je l’entends dire Hasta La Vista cela m’intéresse moins.

Q : comment avez-vous choisi les adolescents car ils sont vraiment super ?

Besson : Dianna je ne la connaissais pas trop mais c’est ma fille qui la connaissait très bien. Elle est venue me voir avec sa tablette en me disant Glee (série américaine). Je l’ai trouvée pas mal. En plus, elle était à Paris. On a appelé son agent et je l’ai rencontrée et je l’ai prise tout de suite. Elle n’y a pas cru au début d’ailleurs. On n’a pas fait de lecture. Je lui ai demandé s’elle avait envie de faire le film et elle m’a répondu que oui. En fait, pour une série comme Glee qui a déjà cinq saisons et je connais bien le rythme américain et comment cela fait de faire des saisons pareilles, une actrice peut faire n’importe quoi derrière. C’est une telle machine d’horaires, de danse, le chant, la fille je n’ai même pas besoin de lui demander de faire un test. Elle sait à peu près tout faire. Le rôle est super mais pas trop compliqué à jouer. Concernant le jeune garçon, j’ai fait un casting à New York. J’en ai vu pas mal. Lui a fait des essais catastrophiques la première fois. Je ne sais pas pourquoi, j’ai un peu insisté car je trouve que physiquement il me plaisait bien en fait. Il avait un petit côté de Robert mais il n’était pas très bon. Après, il faut savoir pourquoi quelqu’un n’est pas bon. On peut être pas bon et cela s’arrange ou pas bon et cela ne s’arrange pas. En fait lui il avait tellement préparé sûrement avec sa mère à mon avis ou un copain d’école. Il la jouait d’une certaine façon qui n’était juste pas la bonne pour moi mais du coup il n’arrivait pas à jouer autrement que ce qu’il avait appris. Il a fallu prendre dix minutes pour casser tout ce qu’il avait appris, que je l’engueule, qu’il est un peu peur pour casser tout ça, lui donner d’autres indications pour voir si il les suit . Il a mis une petite minute un peu comme ça et après a commencé à suivre ce que je lui disais dans les intentions. J’ai fait trois ou quatre prises et il suivait de mieux en mieux. A partir du moment où tu sais que le mec te suit après c’est bon, tu peux l’engager car tu sais qu’il va te suivre. Tu ne peux pas prendre quelqu’un qui ne te suivra pas et qui te dira qu’il ne le voit pas comme cela. Il faut mesurer chez un acteur sa capacité à faire n’importe quoi dans le bon sens mais à pouvoir faire jouer n'importe quoi et sa capacité à suivre surtout. C’est cela le plus important quand on fait un casting.

Q : justement est-ce que vous laissiez un peu de liberté aux acteurs à jouer ?

Besson : pas beaucoup mais en même temps c’est là l’art d’avoir répété à fond et d’être prêt. En réalité quand on tourne, il faut être capable de tout remettre en question si on veut. Mais le si on veut est important. Il faut être capable de faire ce qu’on avait dit, d’aller bien au bout. Dès que j’ai ce que je veux, généralement on essaye encore d’autres choses et s’ils proposent des choses, je ne dis jamais non. Vas-y essaye le. Il faut assurer la partie commune disons de ce que l’on avait prévu mais après effectivement il y a la liberté. Après, cela dépend quand est-ce que les idées arrivent. Par exemple, Michelle est venue me voir un dimanche matin en me demandant à quelle heure était le barbecue dans le film. Je lui ai répondu qu’il était vers 14h30. Elle m’a dit ensuite qu’aux États-Unis à Brooklyn si on fait le barbecue trois heures avant j’ai des bigoudis sur la tête pour faire ma mise en plis. Elle m’a demandé si cela allait si elle avait des bigoudis à la scène d’avant avec ma fille. J’ai réfléchi et je lui dis que c’était super mais essaye quand même va voir la coiffeuse et demande-lui ce que cela donne parce qu’il ne faut pas non plus que cela fasse ridicule il faut que cela soit juste entre les deux. Elle est revenue avec ses bigoudis et je lui ai dit que c’était super.

Q : vous dites que vous avez rencontré la moitié des sopranos pendant la lecture. James Gandolfini était-il présent par hasard ? A-t-il été question de le faire venir pour un rôle ? Quel effet cela a fait de jouer avec toutes ces gueules de cinéma illustrant la mafia ?

Besson : non concernant James Gandolfini. Ses acteurs ne sont pas tous bons. Il y a du boulot. Ce sont de vraies natures. Le problème c’est que c’est difficile à côté d’un Robert, d’une Michelle. Dès que l’on se met à côté de ce standard -là, on parait tout de suite moins bon. En tout cas, ils sont tous adorables et ils ont vraiment tous des gueules. Tous ensemble c’est vraiment comme une classe de CM1.

Q : pour revenir sur les clichés justement développés dans le film, vous n’avez pas peur, certes il y en a autant sur les Français que sur les Américains, vous n’avez pas peur de froisser justement les deux publics car ils ne risquent pas tous de comprendre qu’il s’agit de second degré.

Besson : d’abord, si on a peur il faut faire un autre métier. Maintenant, je n’ai pas peur, même pas peur. C’est une expression, c’est la mienne après on est toujours aimable ou non aimable, contestable. Il y a autant d’avis que de public. Sur mille personnes qui voient un film, il y a mille avis différents en réalité. Il ne faut pas trop penser à cela. Il ne faut pas trop se dire sinon on ne fait plus rien. Il faut faire ce que l’on sent. Personne ne détient la vérité. Il faut faire ce que l’on a besoin de faire par rapport à soi.

Q : justement comment les Américains ont reçu le film ?

Besson : certains très bien d’autres moins bien

Q : quel est le sentiment principal ?

Besson : le sentiment moi j’étais à la sortie américaine. Les deux premiers jours je sentais qu’il y avait, surtout le premier jour, le vendredi, il y avait une partie du public qui n’était pas venu voir le bon film. Il s’était trompé de film. Cela c’est sûr, disons un quart. Les trois quarts aimaient et applaudissaient. C’est toujours bon signe. Mais, je voyais qu’il y avait une partie des gens, un petit quart ou parce qu’il pensait qu’il s’agissait d’un film d’action un peu plus pur et dur et que ce n’était pas ce qu’il voulait voir ou parce qu’il pensait que cela serait moins violent. Certains trouvaient que cela allait trop lentement et d’autres trop vite. Certains jeunes trouvaient que c’était trop violent d’autres non.

Q : est-ce que certains trouvaient que le film était trop français ?

Besson : non pas du tout. Personne ne pense qu’il s’agit d’un film français. Par contre le deuxième jour, à partir du samedi, il y avait le vrai public du film qui était là. C’était très bizarre. Je pense que le vendredi soir c’est le jour d’ouverture aux États-Unis et il y a plein de gens qui y vont sans forcément savoir plein de trucs sur le film. Ils ont vu la bande-annonce, le cast et ils y vont. Alors que le samedi et le dimanche, il y avait le vrai public. Là, cela riait beaucoup plus. Cela applaudissait plus. Il y a deux endroits qui me fascinent chez eux, la raquette de tennis ou cela applaudit et que les femmes se lèvent dans la salle en criant waouh. Ils sont très expressifs les Américains. Il y a donc cela également lorsque le curé vire de l’église Maggie Blake c’est là où ils rient le plus alors que nous on éprouve un peu de compassion alors qu’ eux pas du tout. Cela avait fait hurler de rire.

Q : par rapport au titre du film le titre américain est the Family. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi avoir changé le titre du film Malavita pas The Family.

Besson : parce que les distributeurs américains estimaient que le titre Malavita faisait trop européen et peut-être un peu trop « artsy movie », italien, Francophone et ils pensaient que le film pouvait râtisser plus large que cela donc on a eu une bataille pendant quatre à cinq mois sur le titre car rien ne nous plaisait. Il y en avait un que j’adorais qui était en fait le titre du roman Malavita en anglais lorsque le livre est sorti sur le marché américain, Badfellas par rapport à Goodfellas, je trouvais cela super mais dans les tests les gens détestaient car cela faisait Spoof movie, soit film rigolo, caricatural. Ils ne comprenaient pas lorsqu’ils voyaient le film. C’est en effet très intéressant de faire les tests et de voir comment les gens réagissent et se demandent si c’est drôle ou pas drôle. Ils ont besoin de savoir avant quel genre de film c’est. Dès que le film flotte un petit peu. Est-ce que c’est drôle ou est-ce que ce n’est pas drôle. C’est plus compliqué alors qu’en Europe on est beaucoup plus ouvert à cela et on aime bien lorsque cela se mélange un peu quand même. C’est plus ouvert.

Q : Avez-vous un retour du romancier Tonino Benacquista dont le film est tiré ?

Besson : c’est un peu compliqué pour moi. Je vais sembler prétentieux. En fait on a travaillé avant ensemble et je tenais à ce qu’il me dise. Je voulais l’essence. Qu’est-ce qu’il aime vraiment. A quoi tient-il réellement pour son roman. Quelles sont les choses auxquelles il tient pour ne pas les dénaturer. Certains d’entre vous ont-ils lu le livre ? Le petit passage de la gazette c’est trente-sept pages. C’est impossible au cinéma après une heure de film que je passe vingt-cinq minutes à suivre la gazette. C’est là qu’il y a l’adaptation mais l’esprit des trente-sept pages, il est dans les vingt-cinq secondes. Cela dure donc 25 secondes. On a bien parlé pour essayer de bien extraire ce qui était important pour lui et ce qui est bien pour lui l’essence de son roman après je suis parti tout seul. Je lui ai donné à lire le scénario et celui là lui a beaucoup plus. Il m’a dit que c’était la plus belle adaptation que l’on ait pu faire d’un de ses romans. Il trouvait cela un peu trop violent. Ce qui l’a gêné c’est que cela soit plus violent. On a eu quelques arguments car je lui ai demandé s’il avait relu son livre. La scène de la raquette de tennis, moi je l’ai lu comme cela. Elle est vraiment quasiment fidèle à son bouquin. Je crois que même lui il ne voyait pas forcément la violence.

Q : on voit quand les personnages vont péter un plomb. On le voit arriver mais ce n’est pas méchant. C’est comme si il mettait deux baffes et que cela dérive.

Besson : il ne faut pas les faire chier c’est tout. C’est dans leurs gènes. Lorsqu’il dit qu’il va raconter en dix points pourquoi il est un type bien, le mec est complètement à côté de la plaque. Il dit que si on ne l’emmerde pas, il ne torture pas quelqu’un. Cela veut dire que lorsque l’on emmerde il le torture. Ils sont justes déphasés. Leur vie à eux depuis plusieurs générations est tellement violente. C’est la mafia, des gens sont morts pour un sourire, pour un mot travers, pour une non-réponse. On tue des gens pour cela dans leur famille.

Q : dans les films de mafia en général, il y a toujours ce côté très œil pour œil, dent pour dent. On voyait vraiment cette méchanceté qui arrivait . Nous, si on nous bouscule, on va s’énerver, on va peut-être en coller une alors que lui si on le bouscule il va traîner le gars sur dix kilomètres en voiture

Besson : cela dépend de ce qu’on lui dit. Il va encaisser une ou deux mais si il y en a une qui déborde un peu. Le plombier il aurait pu s’en sortir mais il pousse le bouchon trop loin. Clairement, il l’arnaque.

Q : on note que les gars du barbecue s’en sortent mais pas à la fin.

Besson : si vous notez bien ce qui est intéressant dans la fin. Cela m’amusait beaucoup . En fait, tous ont eu pour lui mais lui ne tue personne dans la dernière scène. Mais, tous les autres, son fils, sa fille, c’est sa femme, son chien, le flic tout le monde tue pour lui. S’ils sont dans ces conditions-là, ce n’est qu’à cause de lui. Ce n’est pas cause de ses enfants ni de sa femme. Tout le monde tue pour lui.

Q : c’est un équilibre à moment donné

Besson : oui et cela m’ intéressait. Pour revenir aux trois acteurs qui n’avaient jamais tourné ensemble, ce qui était intéressant c’est qu’il y a un seul plan dans le film où il y a les trois. Il s’agit d’un plan qui n’est pas facile à faire. C’est un plan qui commence avec Michelle et sa fille qui ramènent tout le monde du barbecue et cela les suit comme cela, il passe comme cela est là on voit Robert et Tommy qui arrivent et la caméra refaire un tour avec eux. C’est le seul plan en fait où ils se disent juste bonjour. Je trouvais cela mignon dans le film qu’ils ne se voient uniquement une fois et ne se disent que bonjour. En fait, ils n’ont pas joué ensemble tous les trois.

Q : ce qui est marrant c’est que Michelle Pfeiffer et Rober De Niro ont tourné deux films ensemble mais aucune scène ensemble. Michelle avait dit que pour Stardust elle avait été un peu déçue justement.

Besson : là au moins ils ont été servis.

Q : J‘aimerais savoir le chef des mafieux qui vient dézinguer Robert De Niro. J’ai cru un moment que c’était Joe Pesci qui avait signé et qui avait été casté.

Besson : non, l’acteur ici est beaucoup plus grand. Peut-être le look en effet mais Joe Pesci est vraiment hargneux tout le temps. Celui-là est beaucoup plus calme.

Q : Qu’est devenu le chien ? En effet j’ai vraiment cru qu’il allait y passer. J’allais dire ce chien c’est un acteur.

Besson : d’abord un super acteur. C’est celui qui a fait le moins de prise. Je ne déconne pas c’est celui qui a fait le moins de prises

Q : il s’en est bien sorti à la lecture du scénario ?

Besson : il y avait un plan où il va dans le jardin là où il a enterré le cadavre. Je voulais que le chien fasse pipi sur la tombe. On avait une caméra qui était prête tout le temps et on lui donnait beaucoup à boire. Son maître me disait là il ne va pas tarder. On a mis la caméra à fond. Cela a pris dix secondes. La caméra tournait il m’a dit lâche le. On a mis le moteur, il est arrivé, il a fait pipi naturellement. C’est un super acteur. Il était très gentil ce chien là

Q : Est-ce que cela du coup vous a donné envie de réaliser une suite à Malavita ?

Besson : non. Il y aura peut-être une suite mais je n’ai pas envie de la tourner. C’était super, mais j’ai bien faire autre chose pour changer.

Q : j’ai une question sur le tournage. Quelles scènes avez-vous tourné à la cité du cinéma ?

Besson : alors toute la maison dans laquelle ils sont, tout le jardin, pas le côté du barbecue, côté roses, toute la verrière, les voisins, la scène du plombier, tout cela a été tourné en décor (à la cité du cinéma).

Q : est-ce plus contraignant de tourner à l’extérieur ou à la cité du cinéma ?

Besson : le plus difficile c’est le tournage à l’extérieur car le problème c’est qu’un jour il pleut, un autre il y a du vent, un jour il y a des voitures, il faut les arrêter, il y a aussi le soleil qui démarre ici le matin et qui finit là le soir. Dans les raccords, les champs contrechamps. Là il y a un nuage on ne peut pas et on doit attendre que le nuage passe. Là en studio, il y a une rue sur pneu qui fait quinze mètres avec un vingt kilomètres et là vous dites on fait la scène, il est 17 heures, on entend un bruit et le camion part, vous êtes de l’autre côté et quelqu’un descend et allume et il 17 heures. C’est génial. Cela permet de faire, on n’a pas fini la scène d’avant-hier, on remet le projecteur de l’autre côté pour faire un raccord du chien version 10 heures du matin et cela prend cinq minutes. Le studio c’est magique. Il y avait d’autres trucs mais je ne sais plus quoi du décor. Il y a aussi la maison d’en face et l’appartement des fédéraux où ils regardent toujours avec des jumelles c’est en studio aussi.

Q : Je me demandais aussi vous avez choisi d’ancrer votre film en 1987, est-ce une volonté particulière ?

Besson : en fait on s’est posé la question par rapport à la technologie. Je pense qu’en 2012, 2010-2013, cela serait beaucoup plus difficile pour eux de se planquer comme cela avec les satellites, les drones. Il y a tellement de trucs maintenant. On a un peu daté le film un peu exprès pour que cela reste une opération à la main, c’est-à-dire, on les surveille à la main et ils le cherchent à la main. Ce qui a été assez compliqué par ce qu’en fait l’année que l’on a choisi c’est l’année du changement des passeports et après est-ce qu’il y a le franc, est-ce qu’il y a l’euro ? On se posait pas mal de questions. Je me souviens même que l’on avait daté le film au mois de juin. On est allé vérifier si les passeports avaient changé à la même année mais en octobre.

Q : vous avez déjà sorti le film aux Etats-Unis, et ce qu’il y avait des raisons particulières à cela ?

Besson : non, le problème c’est que ce n’est plus tellement artistique mais c’est plutôt commercial et selon les pays par exemple en juillet août c’est la plus grosse saison pour les États-Unis mais pas pour nous. Chacun a sa région. Nous on voulait sortir en octobre parce que c’est bien pour le film je l’estime mais pour les États-Unis c’était trop tard. Au début, ils voulaient l e sortir au mois d’août. Il y a déjà 10 à 12 pays où le film est déjà sorti et il sortira encore dans 80 pays jusqu’à mars 2014. Les Japonais ils sortent toujours les films en dernier. Les Japonais ont besoin de huit mois pour faire de la publicité. C’est une autre méthode mais au Japon il n’y a pas de piratage.

Q : il n’a pas déjà été piraté quand même ?

Besson : je ne sais pas, sûrement. Il y a des gens malhonnêtes partout. Il y a des pays comme la Chine, la Russie, en général les films sortent en même temps qu’aux États-Unis car c’est piraté deux jours après. En Russie il est sorti le même jour qu’aux Etats-Unis.

Q : alors qui travaille sur ce genre de problème en fait ? Est-ce vous ou une équipe ?

Besson : non moi je ne m’en occupe pas.

Q : du coup, comme on aborde ce genre de sujet cela ne vous incite pas en tant que réalisateur et le producteur à faire des sorties monde où le film sort, je sais que c’est compliqué, presque dans tous les pays, en tout cas les grands continents quasiment en même temps ? Cela serait le mercredi en Europe et le vendredi aux Etats-Unis.

Besson : il y a des gros films américains qui font comme cela. Lorsqu’ils sortent un gros blockbuster, ils sortent le film quasiment en 10 jours. Un studio comme Warner, ils ont Warner France, Warner Allemagne, Warner Japon. Ils sont énormes. Ceci étant, c’est bien en termes d’échelle mais après pays par pays, il y a des pays qui râlent.des pays qui sont en vacances d’autres pas. Je dis absolument n’importe quoi mais Singapour voulait le sortir en même temps que les États-Unis mais il sort pendant le Grand prix de formule un de Singapour. Quasiment, tous les cinémas sont fermés et personne ne va au cinéma pendant le week-end du Grand prix. C’est un peu une date sacrifiée.

Q : est-ce vraiment une question de structure ?

Besson : nous on travaille souvent avec des gens qui ont la gentillesse de me suivre depuis pas mal d’années, les Allemands, tous les pays nordiques (Danemark, Norvège, Suède), les Belges, les Italiens, les Russes. Il y en a pas mal qui me suivent et à la limite ils préfèrent sortir le film quand c’est bon pour eux avec une bonne affiche qui leur plaît bien. Ils travaillent mieux des fois aussi. En gros pour simplifier lorsqu’il a Spider-man qui sort dans cent quatre vingts pays dans la même semaine et matraqués et que quand on a un film peu plus petit et un peu différent c’est mieux de l’adapter en fonction des dates. C’est par compte plus de boulot.

Q : quelle a été votre plus grosse difficulté sur le tournage ?

Besson : je n’en ai pas eu beaucoup en fait. Je pense que plus tu prépares mieux c’est. On a eu bien le temps de préparer bien avec Robert, bien repérer. On était bien préparé. C’est déjà beaucoup plus facile. Derrière tu as trois Rolls-Royce. C'est difficile de trouver des difficultés. En plus, j’en ai fait pas mal des films. Sincèrement, cela été juste que du bonheur.

Q : cela se voit que vous avez pris du plaisir.

Besson : en effet, c’est jouissif à faire.

Q : souhaitez-vous que je vous rapporte certaines anecdotes ?

Besson : le premier jour où Robert et Tommy jouent ensemble, c’est la première scène du film. Comme il y a une espèce de distance un peu bizarre dans la scène à la fois ils se respectent à la fois ils ne s’aiment pas trop. Je trouvais que c’était une bonne façon de les mettre face à face dès le début. De toute façon on ne leur demande pas de s’aimer à la folie dans la scène. La scène elle est bien dans le premier jour. On a commencé par la scène des deux comme cela. J’ai commencé sur Robert, il y avait Tommy qui était de dos, il y a la maison qui est comme ça, il y a Robert qui est sur le perron et moi je suis là. La scène fait cinq pages, quatre minutes en entier, la scène de dialogues, plus précisément trois minutes et quelques, je créé la première prise, je regarde, je dis coupé, je me retourne, je vois 50 techniciens béats. Ils devaient être au cinoche car d’habitude quand une scène est longue on fait trois mots un coupé, cut . On n’a pas vraiment le temps de voir du cinéma et là ils avaient juste les deux qui enchaînaient toute la scène et ils ne se gourent pas. Ils ne disent pas excuse-moi. Il n’est pas question que l’un montre à l’autre qui ne sait pas son texte. On appuie sur le bouton et là tout le monde était au cinoche. C’était incroyable.

Q : vous tourniez les répétitions. Il paraît que vous avez des one shots dans le film et qu’il y a des répétitions qui ont servi.

Besson : non, je n’en ai pas souvenance. Il arrive des fois que dans la première prise il y ait déjà des bonnes choses. Dans une scène comme celle-là on l’a tourne en entier sur Robert puis je la tourne en entier sur Tommy mais au montage on peut se permettre comme on est en champs contrechamp d’aller prendre une autre prise. Petit à petit dans la conversation les plans sont plus serrés, on se renforce un peu. Plus la tension monte plus on se resserre. Puis-je vous présenter ma productrice ?

Q : est-ce que c’est un choix dans le film qui il n’y ait pas de tête d’affiche française ? Même pour un petit rôle je pense qu’il n’y aurait plein qui aurait signé pour jouer avec Robert De Niro.

Besson : il n’y a pas de grand rôle. Le seul avec qui j’ai proposé parce que je l’aime beaucoup c’est Gilles Lellouche qui devait faire le docteur. C’est vraiment pour qu’il soit là. Ce n’est qu’une journée mais il était sur le tournage de Gibraltar donc il n’y a pas pu. Il aura mieux fait de venir. C’est une vanne (ton humoristique). C’est un peu plus faire de vannes avec les amis. Du coup, il n’a pas pu venir. J’ai donc donné le rôle à un autre acteur qui était très content de faire le rôle. En plus, cela me fait un peu peur dans ces cas-là car j’ai pas envie que l’on dise en France tiens tu as vu c’est machin qui jouait dans… J’ai peur que cela fasse sortir des fois

Q : est-ce que dans la pub le cela ne vous aiderait pas en fait en France?

Besson : je pense que Robert De Niro, Michelle Pfeiffer,Tommy Lee Jones cela peut aller. En plus c’est de moins en moins vrai. Je suis un spectateur comme vous mais ce que l’on recherche surtout c’est que les films soient bons, que les acteurs qui soient connus ou non soient bons. Cela ne marche plus vraiment le gars très connu qui fait un film un peu moyen comme cela. Cela va trop vite aujourd’hui. Je pense que cela ne marche plus. Ce qui est bien car cela nous oblige à nous renouveler, c’est compliqué de faire rentrer de nouveaux talents dans le cinéma. C’est très compliqué.

Q : en même temps un film se monte souvent sur des noms.

Besson : c’est pour cela que je dis que c’est plus compliqué à la fois les spectateurs se lassent assez vite aussi. Ils n’ont pas forcément envie d’aller voir un film car il y a untel dedans. Ils veulent savoir tout d’abord de quoi parle le film. Après, il y a les chaînes de télévision qui prennent souvent des films parce qu’il y a un nom connu et ils savent que les téléspectateurs veulent voir ce film. C’est souvent des batailles pour imposer des gens pas connus. C’est compliqué.

Q : une dernière question ?

Besson : pourquoi une dernière ?

Q : ce n’est pas prévu dans le roman mais avez-vous prévu une suite dans laquelle vous embarquerez vos personnages ?

Besson : c’est ce que disait la demoiselle tout à l’heure. Il y a un deuxième bouquin mais je ne l’ai pas lu. Je ne sais pas.

Q : en parlant de casting j’ai vu qu’il y avait David Belle comme coordinateur des cascades. Était-ce une évidence pour vous de travailler avec lui ? Est-ce que vous ne vouliez pas faire quelque chose de plus orientée action ? Comment en êtes-vous arrivé à cette collaboration ? Il n’avait qu’une scène de roulades et il se fait tuer tout de suite quand on connaît son talent.

Besson : on se connaît depuis très longtemps. La préparation du film que l’on avait avec lui a été repoussée. Il avait donc un trou et je lui ai dit viens. Ce n’était pas plus que cela. Je ne l’ai pas pris pour cela. Il a une bonne tête de rital. Il allait bien dans le groupe aussi. D’ailleurs le Groupe des sept qui arrivent avec le train. La fin est très western. C’était très important, j’en avais une quinzaine en fait et il faut absolument quand on fait le casting que j’ai pas mal de photos de chacun car il y a besoin d’une espèce d’homogénéité dans le groupe de sept. Ce n’est pas facile à faire. C’est un peu comme faire une équipe en sport pour savoir qui est à l’avant et qui est à l’arrière. Il y a là un que j’ai adoré qui est Bernie (Anthony Desio) le gros avec une pas possible. Quand il dit je suis content de te revoir, lui c’est un super acteur. Il est exactement à l’inverse de son physique. Il est d’une gentillesse. C’est une crème d’homme. C’est un super mec.

Q : pouvez-vous nous dire comment cela se passe sur le tournage de travailler avec sa femme ?

Besson : cela se passe bien. On a beaucoup hésité au début. On travaillait ensemble depuis longtemps. Elle m’aidait sur mes films et je l’aidais sur les siens mais on n’avait pas passé le pas. On avait un petit peu peur je crois. C’est compliqué, on se voit toute la journée et puis les enfants et tout. On a hésité. On a essayé une fois et puis en ce qui me concerne j’en étais très heureux, elle peut être pas. Du coup on en a fait un deuxième et là c’est le troisième.

Q : est-ce qu’il y a des acteurs avec lesquels vous aimeriez tourner Carla vous commencez à avoir une petite collection de superstars internationales ? Y a-t-il encore des gens avec lesquels vous aimeriez travailler ?

Besson : non, sincèrement c’est le rôle. Mais oui j’aimerais tourner avec la moitié des acteurs et actrices américaines. Ils sont tous bons. Il y en a vingt-cinq avec lesquels j’aimerais travailler sur le principe comme cela car je les trouve doués mais après pour jouer quoi.

Q : peut-être vous aimeriez travailler avec une personne donnée et qu’un projet pourrait en découler ?

Besson : non car le pire à faire c’est d’écrire pour quelqu’un. C’est toujours très mauvais. Lorsque vous écrivez pour un acteur vous écrivez ce qu’il est capable de jouer instinctivement. Ce qui est intéressant c’est d’écrire pour je ne sais pas qui et que l’acteur après se dise comment je vais faire pour jouer cela, qu’est-ce que je vais trouver en moi pour un peu dépasser sauf pour le cas de Robert De Niro il n’y avait pas trop.

Q : la principale difficulté n’est-ce pas justement cette admiration que vous avez pour lui et imposer votre propre vision. Quand vous disiez que vous rendez un hommage à Martin Scorsese est-ce que la difficulté n’était pas de trouver un équilibre justement entre l’influence qu’il a pu avoir sur vous et votre univers.

Besson : certes en tant que spectateur mais pas en tant que réalisateur. Les influences dans la création elles ne servent pas. Si vous avez une scène à faire dans une cuisine entre un fils et sa mère même si Coppola a fait cela très bien cela n’empêche que je vais plus influencer par la mère à moi et la façon dont moi j’ai vécu mes relations que par les relations que Coppola a pu film avec la sienne. C’est toujours un piège. En fait, les vraies influences des metteurs en scène c’est la liberté qu’ils vous procurent. Vous voyez le film de Scorsese, vous voyez le film de Milos Forman et vous vous dites alors OK on peut aller jusque-là alors. Vos aînés vous libèrent sinon vous voyez un peu petit et vous vous dites voilà c’est pas mal et d’un seul coup vous voyait des gens qui font une chose percutante et là vous vous dites d’accord on peut donc faire cela. On a donc le droit de faire cela. Du coup, c’est cette liberté-là qu’ils vous procurent eux mais ce n’est pas une influence de terrain. Ce n’est pas une influence je vais faire le plan de trois quarts car Coppola en 1972 avait fait un plan de trois quarts sur sa mère. Cela n’a aucun sens. Ils vous influencent par leur vivacité, leur prise de risque c’est cela qui vous influence mais pas le contenu. On film comme on est. Je ne suis pas Scorsese. Je ne suis pas Coppola. Je ne suis pas Dupont. Je ne peux faire que ce que je suis moi avec ce que j’ai appris, ce que j’ai retenu avec mes erreurs. On se construit soi. C’est un peu comme en peinture. Picasso n’a pas essayé de se comparer à Modigliani et inversement. Il n’y a aucun rapport. Ils sont bons tous les deux.

Q : A contrario vous disiez que vous aimiez beaucoup écrire. Est ce qu’il y a des réalisateurs pour lesquels vous aimeriez écrire et cela n’a pas encore été fait ?

Besson : non parce qu’ on se posait la question d’ailleurs tout à l’heure. Il y a un livre que Virginie a pris et on se dit maintenant que l’on a ce livre là on aimerait bien le confier un metteur en scène. Il n’y a pas encore de scénario mais on aimerait bien trouver un metteur en scène qui craque pour le bouquin un peu comme pour Malavita et qui se l’accapare et trouver un auteur pour le script avec lui, faire l’inverse. Non, il faut déjà écrire les histoires. Vous imaginez passer six mois à écrire un truc pour Dupont et il vous dit non cela ne lui plaît pas. Il vaut mieux écrire pour tout le monde.

Q : il y a des projets qui ne se sont pas faits mais qui se sont fait des années après. Il y a aussi les films qui prennent des années parfois et tout. Cela dépend si vous avez certaines envies d’écrire.

Besson : pas spécialement.

Q : avez-vous lu un budget à la française ou à l’américaine ? On sait que les Américains ont des budgets plus importants que les films français en général.

Besson : c’est quoi la différence ? . On ne peut pas calculer comme cela. J’ai fais mes premiers courts-métrages quand j’avais dix sept ans donc je connais le prix des choses vraiment. Le tarif d’une grue à la journée, louer un steadycam, je sais combien cela coûte. Je n’en ai pas eu beaucoup au début. Je n’ai jamais aimé jeter l’argent par les fenêtres sur un film jamais. Cela ne procure aucun plaisir. Par contre lorsque je veux faire un plan avec une grue, j’ai besoin de la grue ce jour-là la productrice me donne la grue dont j’ai besoin ce jour-là. Ce n’est pas une gaspilleuse non plus. Il n’y a jamais eu de restrictions, de choses pour lesquelles elle m’a dit non cela coûte trop cher mais en même temps il y a toujours eu du respect pour que cela soit au bon endroit autant pour moi. Pour répondre un peu différemment, les Américains ont une façon de tourner qui est beaucoup plus large que nous. Je prends un exemple très simple, ne serait-ce que la taille des caravanes. On était dans les villages où la caravane elle ne tourne même pas dans les rues. Ce n’est pas la peine de chercher les caravanes. Le producteur américain vient avec trois assistants, deux stagiaires. L’acteur vient avec son agent, son maquilleur, son coach personnel son cuisinier, son machin. Des fois, cela peut partir dans des folies. C’est vrai, ce n’est pas tellement que l’on tourne à la française c’est que l’on impose nous une façon de tourner qui est plus raisonnable et plus basée sur l’argent qui va à l’image. L’argent est là pour qu’il se voit pas pour graisser plein de gens autour que l’on ne voit pas à l’image et qui ne rendent pas le film meilleur.

Q : est ce que lorsque vous faites ce genre de film vous vous donnez des challenges techniques ? Si par exemple il y a une nouvelle technologie vous allez vous dire je vais essayer de travailler avec sur ce genre de film ?

Besson : non cela je ne fais pas par contre à chaque début de film je me renseigne un peu sur la boîte à outils afin de savoir ce qu’il y a comme nouveaux outils simplement pour être au courant. Car si jamais un jour j’ai une idée sur un plan, je me rappelle alors que j’ai vu un truc il y a quatre mois. Là, par exemple j’ai trouvé un nouveau truc qui est super. En fait c’est très technique. Vous savez tous ce que c’est qu’un steadycam. Il y a un harnais, un bras et cela permet de faire comme cela. Le problème du steadycam c’est qu’il a deux inconvénients, l’écran est ici, dessous, vous avez la caméra ici avec l’objectif et l’écran est ici. Quand je veux me baisser, il y a un moment donné ou l’écran touche par terre. Il y a donc ce que l’on appelle le low mode, c’est-à-dire que je mets ma caméra en bas et je mets mon écran en haut. Je le renverse et là je peux aller très bas par contre je ne peux pas monter beaucoup. Je m’arrête là. Quand je suis là, je peux aller de là à là et quand je suis en low mode je peux faire cela. Il y a un autre système qui existe maintenant et qui est en fait que la caméra est sur un giro. Au lieu de descendre comme cela, je vais pencher mon steadycam et la caméra va rester en stab. Je vais pouvoir aller jusqu’en bas par contre si je veux descendre droit, cela devient compliqué car il faut que le gars fasse cela car le giro va faire cela. Disons que dans le mouvement vous suivez les pieds de quelqu’un. Il peut remonter et même passer derrière vous. Ce n’est pas nouveau. Cela fait déjà un an ou deux. Là, il y a un mec qui a trouvé un truc assez incroyable. Il n’a pas de steadycam ordinaire mais il y a une espèce de steadycam et il tient la caméra à une main comme cela. Il a un système qui l’aide pour que cela ne soit pas trop lourd et il a une espèce de boule giro à l’intérieur ici. Lui il fait cela et il peut mettre la boule n’importe où car ce n’est pas lui qui cadre. Il y a un autre mec derrière qui lui est à l’écran et il a des manettes et à l’ intérieur de la boule il peut manœuvrer absolument dans tous les sens. Il peut pianoter comme cela. Il peut tourner. En fait il y en a un qui fait le mouvement et l’autre qui cadre. Cela c’est incroyable. J’ai vu leur bande démo, c’est juste nickel. Par exemple sur des courses à pied, le mec est en patins à roulettes, il fait du patin comme cela il y a l’autre qui suit derrière en voiture électrique. Ce n’est pas énorme, c’est un petit truc mais c’est super bien. Je vais pouvoir l’utiliser la semaine prochaine pour le projet Lucie. On a commencé à tourner à la cité du cinéma et on s’en va à Taipei.

Q : il y a énormément de réalisateurs qui se sont exprimés sur le film Gravity qui sort le même jour que votre film Malavita. L’avez-vous vu ?

Besson : non pas encore. J’ai vu les bandes-annonces. Cela a l’air exceptionnel au niveau technique. En même temps je n’ai vu que ça. Pendant 1h30 je ne sais pas ce qui se passe. J’espère qu’ils ne sont pas deux à errer dans l’espace. J’ai envie d’aller le voir. Cela a l’air vachement bien.

Q : quand j’ai vu le film Gravity il y a des moments qui m’ont rappelé le Grand bleu. Il y a des moments comme pour la plongée. Ils ont fait leur communication là-dessus, cette plénitude. Il y a pour moi quelques moments où c’est le même délire que pour le Grand bleu. Pour moi c’était le même principe de plénitude, de grand vide comme cela. C’est très impressionnant. C’est donc très intéressant de lire votre avis quelque part.

Besson : je n’ai pas vu la bande annonce comme cela. Je vais aller voir mais a priori je vais aimer. Cela a l’air très bien.

Q : y a-t-il eu une projection débat en Basse-Normandie où le film a été tourné ? Vous n’avez pas peur de vous faire visiter près de chez vous ?

Besson : non, on y va demain. La ville où se passe l’action du film n’existe pas. Il s’agit de la contraction du nom de deux villes. Il faut arrêter de croire que j’ai peur tout le temps. On ne fait que des films. Je vais finir par une petite anecdote comme cela sur la peur. Quand j’ai tourné le Grand bleu, on était à 4500 mètres sur les plateaux péruviens et on nous avait prêté un train exprès pour le film. Il y avait toute l’équipe technique et tout le monde dans le train et vous traversez un plateau à quelque 4500 mètres. Le plateau fait 500 bornes avec des montagnes à 7000 des deux côtés et le train s’arrête en pleine pampa et le mec un peu affolé arrive avec le traducteur et me dit qu’il y a les gens du Sentier lumineux. Je lui demande ce qu’est le Sentier lumineux, cela faisait deux ans que j’étais dans le grand bleu et je ne savais pas ce qu’était le Sentier lumineux. Il m’a expliqué qu’il s’agissait des rebelles et ils sont là. Il me les montre par la fenêtre il y a une quarantaine de mecs à cheval en ligne un peu comme Zapata avec leur bonnet péruvien ils ont 18 ans mais ils ont l’air d’avoir 60. Ils sont comme cela avec leur flingue et je demande pourquoi ils sont là. Il m’explique qu’en faite que le train qu’ on nous a prêté c’est celui du président. Je lui demande si ils croient qu’il y a le président à bord. Il m’explique qu’ on leur a dit que nous étions l’équipe d’un film et qu’ils aimeraient connaître le sujet du film. Je vous jure que c’est vrai. A l’époque le producteur n’était pas ma femme et il était très lâche et qui me dit vraiment Luc il faut que tu ailles les voir. Je descends donc et j’ai de l’herbe jusque-là. J’arrive avec le traducteur et il y avait un clone de Zapata. Le traducteur me dit que je dois leur raconter le sujet du film est là je me suis dit que je vais savoir si c’est un bon script et je commence en disant putain, ils n’ont jamais vu la mer. Je ne suis pas sûr qu’ils savent ce que c’est un dauphin, comment je vais me démerder alors là je me suis dit qu’il y avait des dauphins qui s’appellent les butos. Ce sont des dauphins roses qui sont en Amazonie. Je me suis dit peut être qu’ils connaissent un peu les dauphins. Alors cette histoire de Jacques, il a son ami Enzo Molinari et j’ai raconté pendant 10 minutes le film et ils m’ont dit que l’on pouvait y aller. Je lui ai dit c’est tout à mon traducteur. Je lui ai demandé si cela leur avait plus et il m’a répondu je ne sais pas mais il vaut mieux ne pas demander et on est reparti.

Propos recueillis par Mulder, le 14 octobre 2013.
Avec nos remerciements à l’agence Cartel