Table-ronde - Table ronde avec Vincent Lindon et Gilles Lellouche

Par Mulder, Neuilly-sur-Seine, Gaumont, 30 janvier 2014

Q : J’ai une question par rapport à votre scène d’introduction qui est très spectaculaire. Je voudrais savoir comment vous vous êtes préparé à tourner une telle scène sachant que c’est dans un espace ultra restreint. Est-ce qu’il y a de la place pour la comédie au détriment de l’action.

Gilles Lellouche : dans l’ordre, pour se préparer à ce genre de scènes c’est ni plus ni moins comme quand on prépare un ballet ou une danse c’est une chorégraphie. On a eu un coach et des cascadeurs avec lesquels on réfléchit à la meilleure manière de faire la scène et de sa faisabilité. Ils ont une idée de la scène idéale qu’ils ont mis au point avec Fred. Dans une voiture, on découpe en segments la séquence et on voit ce qui est jouable, ce qui n’est pas jouable, ce qui est visuel et qui ne l’est pas. Il y a beaucoup un rapport esthétique aux choses dans le film de Fred et on regardait ensemble suivant les angles et les axes ce qui était le plus payant. Ensuite, ce sont des répétitions encore et encore. Vous le savez aussi bien que moi, c’est l’art de tricher. On se frôle, les coûts passent et on essaye de parer les choses. C’est assez grisant car c’est assez rare en France d’avoir ce genre de scènes. Personnellement, je n’en avais jamais fait. C’est grisant car cela file un peu la trouille pour être honnête. Un geste raté c’est un coup porté. C’est de la répétition, de la répétition encore et encore. En ce qui concerne la comédie il n’y a pas de comédies ce n’est que du physique. En ce qui concerne la comédie dans ce genre de scène, la comédie est inhérente au physique. C’est un mélange des deux. On joue avec son corps et pas avec sa tête

Q : Avant de tourner ensemble dans ce film, vous connaissiez vous ?

Vincent Lindon : je savais que Gilles Lellouche existait. Oui, on se connaissait un petit peu. On s’était croisé à quelques reprises. On s’était bien apprécié. En fait, on ne s’est anormalement pas rencontré dans la vie pour deux personnes qui ont été amenées souvent à être dans des endroits similaires. On s’est croisé une première fois au cours Florent où j’étais venu faire une Masterclass et où Gilles était élève au cours Florent. Lui connaissait mon existence et moi pas encore. Il était un élève. Il y en a un sur cent mille qui perce à peu près et c’était lui. Moi, je ne le savais pas encore car il n’avait pas encore percé. Après, on s’est croisé il y a eu comme une sorte de repérage mutuel, dans des endroits comme cela ou on se croise 10 à 15 secondes. Je me souviens d’un jour où cela m’a beaucoup marqué il était en scooter au coin de la rue Jacob et moi je traversais la rue Bonaparte. Il venait d’être papa et on est eu une discussion le temps que le rouge passe au vert et que le vert passe au rouge qui était extrêmement bienveillante. C’est un très beau moment qui a duré pas longtemps du tout et les scooters sont partis comme cela. On a pris un verre après dans un café pour un projet que l’on avait ensemble et que l’on n’a pas fait. Après on s’est croisé deux, trois fois dans des cafés ou des restaurants et on s’est vraiment vu pour la première fois pour la préparation du film. Mais on se cherchait, on s’admirait, on était intrigué l’un par l’autre. Je crois que l’on reconnaît les gens sans les connaître qui ont une démarche assez semblable de la vôtre, une énergie par exemple. Je cherche les choses chez les gens il y a ceux qui sont énergiques et ceux qui ne sont pas énergiques. Je vais très souvent vers les gens énergiques et j’aime bien aussi aller vers les gens qui sont décideurs, qui prennent leur destin en main ce qui est le cas de Gilles. J’aime bien aller vers des hommes qui ont une carrure pas des demi-portions ce qui est le cas de Gilles aussi. J’aime bien aller vers les grandes gueules, des gens qui disent ce qu’ils pensent et qui n’envoient pas faire dire ce qu’ils ont à dire ce qui est le cas de Gilles aussi. J’aime bien les gens qui se démarquent qui ont des idées qui peuvent de temps en temps assumer de croire qu’ils ont raison contre tous même si ce n’est pas toujours le cas, ce qui est le cas de Gilles aussi. C’est un deuxième bel emmerdeur magnifique l’air de rien.

Lellouche : plus discret, plus planqué

Lindon : oui, parce que j’étais là. Sur un prochain film, tu seras Vincent et tu auras un Gilles. C’est notre métier de repérer les choses, de très très vite faire des scanners, des situations, des métiers, de chopper très très vite les gestes des gens. On a un genre de machine cérébrale qui réingurgite et enregistre les mouvements et les façons dont les gens se meuvent dans la vie car on aura peut-être à les réutiliser pour jouer un barman, jouer un taxi, jouer un boucher donc on voit aussi les gens que l’on croise. On chope des choses un peu comme les gens qui font des imitations, les trois ou quatre petites choses qui font que l’on sait si on a des atomes crochus avec quelqu’un. Voilà pourquoi les acteurs se connaissent si vite un tout petit peu mais savent s’ils sont attirés ou pas. C’est cela ?

Lellouche : oui, absolument.

Q : donc vous aviez déjà l’envie de travailler ensemble avant ce film ?

Lellouche : moi en ce qui me concerne beaucoup. J’avais très envie de tourner avec Vincent. Pour raccorder un peu les wagons sur ce qu’il a dit tout à l’heure. Moi, quand j’étais au cours Florent, on avait beaucoup de Masterclass et pour être très honnête je m’en foutais complètement. Je me foutais complètement de qui venait les faire. C’est avec cette présomption, cette prétention idiote que l’on a 20 ans en disant que cela ne m’intéresse pas. Le seul que je ne voulais pas rater c’était Vincent parce que j’aimais l‘acteur et parce que j’aimais son discours. Je buvais ses paroles, ce qu’il disait. Une fois il avait dit, là je suis en train de vous donner des conseils mais il y en a un sur cent qui dit donne-moi tes conseils que je n’ai rien à faire des conseils. Dans deux ans, je serai au top. Il y en a un qui n’en a rien à foutre bah c’était moi. Cela m’a parlé, cela m’a fait rire. C’est incroyable car je me suis dit sûrement lui il avait pensé la même chose cinq ou dix ans auparavant. J’ai toujours une forme d’admiration pour son discours que je trouve très honnête, très intègre st très différent de la langue de bois habituelle et usuelle de tous les artistes qui n’osent plus rien dire par peur de se couper d’une certaine tranche de leur public. Lui s’en fout. Je pense que lorsque tu t’en fous c’est là que tu es le plus fort. Non seulement il y a un discours mais aussi un choix mais aussi une direction dans la carrière. J’ai toujours observé Vincent. J’ai toujours eu envie de tourner avec lui et j’ai vu à quel point il est sacrifié même un moment donné. Il y a Patrick Bruel et Étienne Daho, vous voyez ce que je veux dire. Lui, il a choisi le plan de l’Étienne Daho. Il a choisi au sacrifice d’un certain cinéma très populaire car populaire il l’est. Il s’est servi de sa popularité pour aller vers des choses belles, élégantes, pointues et nobles ce qui est très rare. C’est ce qui est pour moi un exemple à suivre est donc quand j’ai eu l’opportunité de pouvoir tourner avec Vincent, j’étais comme un fou.

Lindon : j’avais très envie aussi de tourner avec Gilles et ce qu’il a oublié de dire c’est que j’ai très envie de retourner avec Gilles. C’est très important, ce n’est pas tout de tourner encore faut-il après laisser une trace que l’on a envie de se retrouver. Dans la vie, il n’y a pas de problèmes mais au cinéma c’est cela qui est aussi très important et aujourd’hui ce qu’il faut en plus de tout ce qu’il a très gentiment dit sur moi et sur lui c’est qu’il faut trouver le terrain pour faire cela. Justement, c’est ce qu’il vient d’expliquer. On a tendance et on ne tombera pas dedans parce qu’ avant j’en aurais été garant tout seul mais maintenant il est aussi fort que moi pour cela. Il faut savoir refuser quelquefois. Peut-être qu’ on va nous envoyer cinq ou sept, dix ou quinze projets sur les cinq années qui vont suivre, il faudra absolument résister à l’argument de la retrouvaille qui sera peut-être inférieur aux désagréments du résultat. On se serait auto persuadé que c’est bien juste pour se retrouver alors que ce n’est pas le cas. Il faut une base, un bon scénario. C’est avec de beaux projets que l’on fait de beaux mariages que les gens s’entendent bien. Si la base n’est pas juste et que c’est juste une excuse pour se retrouver on croit que l’on est content et après quelques fois on s’en veut. Comment ne pas s’en vouloir à soi-même. C’est à l’autre que l’on en veut et inversement. C’est comme cela que de temps en temps arrive les disputes dans les couples ou en dans l’amitié ou on est fâché, c’est quand deux personnes qui s’aiment partent sur un mauvais coup. C’est après qu’il y a une sorte de ce que moi j’ai toujours qualifié. Les gens que j’admire, qui me plaisent dans le métier dont il fait partie être un mauvais souvenir pour eux. Je ne veux pas que dans leur biographie, tout seul quand ils sont en train de penser ou quand leur envie leur prend d’être en vacances, de se balader. Quand on a des heures tout d’un coup où l’on retrace ce que l’on a fait et on se dit je sers à quoi, ou je suis d’où je pars. Je n’aime pas dans le cerveau de la personne qui pense qu’ils se disent qu’il y a juste l’anicroche d’ un petit écart de parcours et hop ma tête ou mon nom arrive. Je veux être un bon souvenir pas forcément un succès car je ne suis pas intéressé par les entrées mais si on me les donne je suis ravi. Ce n’est pas cela. Je préférerais toujours me coucher le soir avec un film qui a été un échec mais moi je peux dire tout simplement ce n’est pas grave moi je l’ai fait et je vous emmerde car moi je continue à l’aimer plutôt que d’avoir fait un succès que l’on m’aurait soufflé auquel je n’aurais pas pensé tout seul et après je me couche le soir en me disant ah si on me l’avait pas dit, je ne l’aurais pas su. Le pire étant bien entendu le choix que l’on ne voulait pas faire et en plus cela ne marche pas. Ce sont des choses où l’on met très, très longtemps à s’en remettre. Quand je dis très longtemps c’est vraiment très longtemps. Cela peut prendre des années. Ce n’est pas toute la journée du matin au soir mais c’est en filigrane comme cela. Cela revient et on est son propre attaquant et les artistes sont très durs envers eux-mêmes. Ceux qui ont une conscience. Très violent, très dur. On ne se fait jamais de cadeaux c’est pour cela que l’on souffre autant. C’est pour cela que l’on a des plaies aussi grandes. On s’occupe bien de notre cas à nous même ou l’inconscient s’occupe bien de nous-mêmes et c’est ce qui fait qu’ une mauvaise décision n’a pas beaucoup de différence avec une bonne décision mais trente mauvaises décisions cela fait une carrière pas terrible et 30 bonne décisions même si elles sont entachées cela fêtent une bonne carrière et c’est pareil dans la moralité des hommes ou 30 petites lâchetés on devient un gros lâche et trente petits actes de courage on devient quelqu’un qui est courageux. Il faut voir plus loin. Gilles il le sait, moi aussi, on a fait des erreurs tous les deux et on les revendique. C’est même formidable mais en soi, ce n’est rien. Mais si on en fait une on ouvre immédiatement une valve qui donne encore plus de possibilités à faire car on se dit on l’a déjà fait une fois. En fait, il ne faut jamais céder une fois. Si tu trahis une fois tu peux trahir vingt fois. Il faut essayer de ne pas le faire du tout mais c’est très compliqué parce qu’il y a de moins en moins de films donc de moins en moins de bons films mais il y a de plus en plus d’acteurs, de plus en plus affiches, de plus en plus de bandes-annonces. Il y a de plus en plus de complexes pour le cinéma, de cinémas qui ouvrent. Il y a toujours l’angoisse toujours de se dire que si je laisse passer cela cela peut cacher la proie pour l’ombre mais la proie n’est pas si belle des fois mais l’ombre n’est pas sûre d’arriver et si elle arrive et qu’elle est belle c’est formidable et on se dit que j’ai eu raison d’hésiter et de passer le coup d’avant. C’est dans tous les métiers pareils. Quelquefois j’ai des amis à moi qui sont très talentueux pas dans le métier du cinéma, dans d’autres métiers et quelquefois je les regarde et je me dis c’est quelle porte, quel couloir où il a raté le coche. C’était dans quelle année qu’est-ce qui s’est passé. Des fois, on n’y peut rien c’est la vie. Il faudrait très courageux. Une dernière chose après j’aimerais vraiment que Gilles prenne la parole. Il y a des erreurs très excusables mais il faut qu’elles soient revendiquées. Un acteur qui dirait, écoute Vincent je vais te dire un truc. J’ai fait ce film un jour, je ne l’aimais pas, je ne voulais pas le faire mais je l’ai fait parce que moi je dois donner à manger à mes enfants, parce que j’ai ceci, parce que j’ai cela, parce que j’aime mes parents . Alors, tout d’un coup il devient plus courageux qu’un mec qui fait les beaux choix. Alors là, je dis chapeau car il a accepté d’être éventuellement ridicule dans un truc qui n’est pas bien au départ mais il sait pourquoi au départ et il le dit. Cela aussi c’est du courage. Cela c’est beau aussi. Ce que j’ai passé au milieu . Ce n’est pas se raconter la vérité à soi et donc mentir aux autres. Cela c’est la tranche que je n’accepte pas.

Lellouche : je n’ai rien à rajouter.

Q : donc pour le coup qu’elle fut l’élément déclencheur pour faire Mea culpa ? Était-ce le script les retrouvailles avec Fred Cavayé ou le fait de tourner ensemble ou tout cela ?

Lellouche : exactement. En premier lieu c’est toujours le script mais ce script en particulier ce qui me concerne parce que c’est Fred qui le réalise. Réalisé par un autre je ne suis pas sûr d’y aller franchement. Au même titre que lorsque j’avais accepté A bout portant. Je l’ai accepté parce que j’ai eu le script et je me suis dit où il va ce scénario, qu’est-ce qu’il me raconte, comment on peut prendre d’assaut le 36 Quai des Orfèvres à deux. Je me suis dit qu’il était complètement zinzin. Il a perdu le sens des réalités. J’ai vu Pour elle. Je ne l’avais pas vu jusque-là. Je suis allé acheter pour elle et je l’ai regardé. Je vois l’articulation du scénario et quand le film part dans la dernière demi-heure ou il y a cette dernière demi-heure d’action hallucinante, je reste assis sur mon fauteuil comme cela scotché et j’ai dit oui d’accord évidemment parce qu’il a ce sens là dont j’ai fait A bout portant et j’ai eu raison. Au même moment, on m’avait proposé La proie et j’ai choisi A bout portant au lieu de la proie. Je n’ai pas eu tort. Cela reste entre nous bien évidemment. Parce que j’avais vu le film Pour elle et cela m’avait rassuré. Après avoir vu Pour elle, après avoir fait A bout portant cela m’a donné évidemment le courage, l’audace, l’envie de faire celui-là qui est aussi un scénario réalisé par un autre ou peut-être complètement ridicule ou il faut un technicien hors pair qui maîtrise son outil sur le bout des ongles ce qui est son cas de plus en plus. Il a pris une sorte de maturité et il s’est tellement décomplexé dans un cinéma français qui a souvent peur de son ombre et qui souvent n’ose pas manque d’audace préfère être dans des cases rassurantes par peur de déplaire. Lui au contraire s’émancipe dans un genre qui est très particulier donc rare donc évidemment cela me donne envie et ensuite il y a la cerise sur le gâteau qui une grosse cerise sur un petit gâteau c’est de tourner avec Vincent. C’est quelque chose dont j’avais évidemment envie. Je vais le répéter encore mais je pense que dans les acteurs français il y en a peut-être trois avec lesquels j’avais envie vraiment de travailler et lui en premier.

Lindon : je reviens sur ce que dit Gilles car c’est tout à son honneur mais ce n’est pas totalement vrai. Le début, parce que ce n’est pas totalement vrai parce que sans t’en rendre compte tu dessers le scénario. Ce n’est pas vrai. Je suis sûr que si on t’avait donné le scénario de Mea culpa et que t’on avait dit que c’est Fred Cavayé qui allait le réaliser mais un tel l’a lu voier par exemple moi et Vincent a dit non cela devrait interpeller. Je pense que c’est formidable que Fred le fasse mais de toute façon si le scénario ne t’avait convaincu à mort même faisable par quelqu’un d’autre tu ne l’aurais pas fait. Il se trouve que c’est un scénario qui de toute façon t’aurait plu et aurait été faisable par quelqu’un d’autre moins bien que par Fred et quand c’est Fred c’est la cerise sur le gâteau. Mais je ne pense pas que l’excuse en disant que c’est lui fasse que tu dises oui au film.

Lellouche : oui tu as raison.

Lindon : je me souviens qu’on en a parlé et d’un appel téléphonique où tu as été très précis et tu m’as dit qu’est-ce que tu en penses. Tu as attendu d’avoir ma réponse parce que tu savais déjà exactement ce que tu voulais et je te dis ce que j’en pensais et tu m’as dit ce que tu en pensais. On meurt d’envie de le faire. Il n’est pas question que ce film soit fait par quelqu’un d’autre que par nous maintenant. Mais, tu ne crois pas que le truc.. Tu m’as donné un ou deux arguments et J’ai dit ah oui, je n’ai pas vu cela. Tu as raison. Moi, en revanche j’ai noté un petit truc et tu as dit ah oui c’est vrai tu as raison. Avec notre petit chapeau on a noté cinq ou six trucs qui nous titillaient pas très importants mais des petits détails. Des détails, cela peut être très important dans un film. Fred a accepté les six, un il a été contre un mais il nous l’a très bien expliqué. Il nous a prouvé par A+ B qu’il était contre et qu’ on allait faire comme lui a décidé rien que cela c’est encore plus agréable que s’il avait cédé. Cela montre qu’il savait exactement ce qu’il voulait

Lellouche : tu as totalement raison mais ce que je voulais dire c’est comme si François Ozon proposait le scénario de Star Trek. Le scénario de Star Trek peut être extraordinaire, François Ozon est extraordinaire mais le problème n’est pas là mais, est-ce que les deux vont donner une somme extraordinaire. C’est pour cela que je me dis la somme de ce scénario la réalisé par Fred Cavalier il y a une cohérence qui fait que oui évidemment. C’est cela que je voulais dire.

Q : ce qui est bien ave ce film c’est que c’est le plus grand film d’action qui a été fait. Comme vous avez très peu de dialogues, l’essentiel passe par l’action. Est-ce que cela a été quelque chose de difficile à prendre en compte en tant que comédien ?

Lellouche : je suis d’accord avec vous, je suis content que vous le disiez.

Lindon : il y a plein de choses en interview qu’ils nous reviennent auxquelles je n’avais pas pensé en faisant les choses. Jamais je me suis exprimé à moi-même, jamais je me suis précisé le fait de me dire que tiens je fais un personnage qui ne parle pas beaucoup et qui parle avec son corps et avec son regard. Jamais je me suis dit tiens je suis en train de faire le plus grand film d’action que l’on n’ ait jamais vu en France en langue française. Jamais je me suis dit c’est un film qu’est-ce que ça va vite qu’est-ce que c’est violent. Jamais toutes ces choses-là me sont apparues aussi clairement. Il y a des touches comme quand il y a le flou. Il y a dénivellation. J’ai senti en effet mais de très loin que ce n’était pas un personnage très bavard mais pas assez pour me dire qu’est-ce qu’il est taiseux et pareil pour le personnage de Gilles. C’est beaucoup plus charnel, beaucoup plus organique une acceptation d’un film pour moi. Je l’ai lu j’aime et je ne pose pas de questions. C’est comme les gens qui rencontrent une femme et qui 20 ans après sont toujours ensemble. On lui demande ce qui lui a plu chez elle et il vous explique qu’entre le moment où elle a franchi la porte du café et est arrivé à la table et cela dure pendant une heure. J’ai senti que cette personne vraiment avec quelque chose qui lui plaisait et j’ai vu chez elle une honnêteté. J’ai vu ceci j’ai vu cela. J’ai toujours voulu leur dire tu n’as rien vu du tout mais avait vu huit mètres entre la porte et la table. Elle est arrivée vous vous êtes plus c’était elle c’était toi vous êtes touchés c’est chimique, vous avez dormi ensemble et le lendemain matin et tu t’es dit la vie sans elle c’est impossible. Maintenant, 20 ans après, vous essayez de trouver des raisons intellectuelles, intelligentes et rétroactives pour expliquer quelque chose qui ne s’explique pas. Un film, pour moi c’est pareil. Aujourd’hui j’apprends beaucoup de choses sur le film dans lequel je suis par les questions des journalistes, de vous. J’apprends énormément de choses où je fais l’intelligent en disant oui c’est une très bonne question vous avais raison de souligner j’ai mon deuxième cerveau qui me montre quelque chose à laquelle je n’avais pas réagi car c’était beaucoup plus organique C’est le corps qui parle. Je suis arrivé page 103 que j’ai vu qu’il y avait le mot fin j’ai quasiment en même temps que je lisais les répliques composé le numéro de Fred. Je l’ai appelé et je lui ai dit je le fais. J’ai adoré et si il m’avait dit qu’est-ce que tu as aimé j’aurais bien été incapable de lui dire je ne sais pas tout quoi. J’adore. Mais quoi. Qu’est-ce que tu penses du personnage. La, j’aurais trouvé une excuse, attends il y a mes enfants je te rappelle. Sur le moment, je ne sais pas. Après le film va tellement vite sur le tournage pendant trois mois que je ne sais toujours pas. C’est très bizarre.

Lellouche : on est dans du lâcher prise absolu c’est-à-dire que tout se fait sur le moment, sur l’instant. C’est tout ce que le caractère instinctif et impulsif du jeu peut représenter. On est vraiment là-dedans. C’est extrêmement agréable. C’est impossible d’être mécanique. Il est impossible d’avoir réfléchi une attitude. On est tellement pris. Évidemment, avec la multiplicité des prises après on peut arrondir l’exercice et ajouté deux ou trois trucs. C’est tellement le physique qui parle que l’on est dans des choses que l’on ne découvrira qu’une fois le film fini. Je n’avais aucune conscience de ce que je jouais et c’est tant mieux sur les scènes physiques, sur le danger que l’on pouvait avoir dans le regard, et d’une réponse, d’un geste. C’est le corps qui parle, qui s’exprime comme si on était dans un caractère d’urgence de la vie. C’est extrêmement jouissif.

Lindon : je me souviens de la scène à Toulon quand tout d’un coup je suis dans le bus, que je sors et que je me fais renverser par la voiture donc on a tourné cette scène et après on était sur Gilles qui avait cette scène de fusillade je me souviens qu’avant la prise il avait les jetons. C’est Gilles qui avait les jetons mais cela la caméra elle s’en fout complètement. Sautet m’a dit un jour une phrase que je n’oublierai jamais de ma vie. C’est drôle, je ne t’en ai jamais parlé. J’étais sur le tournage de quelques jours avec moi, j’avais une scène avec Sandrine Bonnaire et je devais être très angoissé. J’étais jeune acteur et c’est un metteur en scène très colérique, le monstre que l’on connaît de metteur en scène et aussi il était très autoritaire, très dur à travailler. J’avais à tremblote le matin. J’allais au travail avec une peur au ventre incroyable. J’avais peur de mal faire et d’être pas à la hauteur des grands acteurs qu’il a filmés. Dix minutes avant la prise, je suis allé le voir et il déambulait comme cela sur le plateau avec sa cigarette et en hurlant il me disait excuse-moi. Je lui dis Claude. Il me dit qu’est-ce qu’il y a mon gros. Je lui dis là il faut que je sois angoissé. Il me dit en hurlant je n’entends rien de ce que tu me dis. Je lui demande comment je dois être angoissé. Il me répond en hurlant, tu n’as qu’à penser à ta note de gaz, à ton chat qui est mort, ce que je veux voir c’est de l’angoisse, je m’en fous. Sur le moment, je n’avais pas compris ce que cela voulait dire. En fait, la caméra elle voit quand on joue une scène d’angoisse de l’angoisse, peu importe si vous pensez à un truc de votre vie, ce qu’il voulait voir c’est de l’angoisse. Le jour où j’ai à tourner cette scène où le personnage a peur, même un flic lorsqu’il y a une très grosse attaque, on a parlé avec beaucoup de flics, le cœur est à 8000. Gilles avait peur ce jour-là. Il a eu peur de se servir de cette arme, il avait peur de faire retourner la scène. Quand il y a cinq caméras qui se mettent en route, on se dit pourvu que je ne rate pas. J’ai eu huit secondes sur moi, pourvu que je ne les rate pas. Je vais tout foutre en l’air. On a peur de gêner 80 personnes qui font leur métier. On tremble. Quand la caméra arrive sur vous même si vous voulez ne pas montrer votre peur, c’est foutu, elle passe. Les acteurs que j’aime sont ceux qui ont une énorme maîtrise de cela et qui tout d’un coup, c’est la qualité des gens qui se servent de leurs défauts pour en faire des qualités. Ce sont les acteurs qui sont conscients de cela qui se dise puisque j’ai peur, puisque j’ai le trac, je vais m’en servir et je vais jouer dessus. Entre guillemets, C’est très pute comme mécanisme mais les plus grands acteurs ont cela à un moment.

Lellouche : ce sont des grosses putes (en plaisantant)

Lindon : c’est là où c’est formidablement jouissif, c’est quand l’incarnation du personnage se dédouble avec le personnage du film et que l’on ne sait plus qui est qui. On ne sait plus s’il est Franck ou Gilles. On ne sait plus si je suis Sylvain ou Vincent dans certaines scènes car les deux se confondent.

Avec tous nos remerciements à Claire Chevalier de l’agence Sorties Cinéma,
A toute l’équipe de Gaumont pour leur excellent accueil
et aux comédiens Vincent Lindon et Gilles Lellouche d’ avoir répondu à nos questions
Propos recueillis par Mulder
Video et photos : Mulder